E. KAMENKA industrielle avancée, d'autre part, le désir du Parti de conserver à la fois le contrôle politique décisif et sa prétention à l'autofité absolue en dernier ressort dans tous les domaines. Le Parti, en cherchant à modifier le mélange de persuasion et de coercitian (sur lequel repose toute dictature), se balance sur la corde raide, en mesurant les changements de direction des vents qu'il a contribué à libérer, parfois en se laissant porter par eux, souvent en s'y opposant. Dans ces conditions, les tentatives faites par les juristes soviétiques pour systématiser une philosophie du droit marxiste de l'époque stalinienne ont entièrement perdu leur unité et leur portée théorique, pour· n'être guère plus que des indications barométriques sur les forces relatives des pressions rivales qui s'exercent à l'intérieur du corps social. Le marxisme en tan.t qu 'idéologie prétendant à une cohérence théorique est manifestement en train de se désintégrer ; quant aux contradictions à l'intérieur de la théorie et de la pratique juridique soviétique, elles ont perdu la saveur marxiste qui les caractérisait. Fondamentalement, ces contradictions traduisent le heurt entre, d'une part, le besoin non marxiste (on pourrait même dire « occidental ») de protection légale, de certitude et d'indépendance vis-à-vis d'abus administratifs toujours possibles, notamment du fait du Parti, d'autre part, les efforts du Parti pour satisfaire ces besoins en les contrebalançant. La « légalité socialiste » et la normalisation progressive de la société soviétique, même du temps de Staline, ont engendré et renforcé une nouvelle classe d'avocats qui aspire de plus en plus au monopole dans le domaine qui est le sien. En 1946, le Comité central du Parti reconnaissait que les juristes étaient encore trop rares et que l'enseignement du droit avait été fort négligé. On multiplia les facultés de droit et on prolongea les études. L'augmentation constante du nombre des étudiants en droit et des avocats expérimentés s'accompagna d'un mouvement croissant, quoique discret, de revendications tendant à faire admettre la valeur intrinsèque de la profession et son importance dans la vie du pays. CE N'EST CEPENDANT qu'après la mort de Staline que ces revendications furent ouvertement formulées et, dans une certaine mesure, satisfaites. La revue la Justice soviétique commença à souligner la nécessité de relever le niveau du barreau et de lui rendre un certain BibliotecaGino Bianco 109 lustre 22 • Le « discours secret » de Khrouchtchev prononcé en février 1956, dans lequel celui-ci reconnaissait les abus commis sous Staline, et les « réhabilitations » effectuées entre 1953 et 1957 créèrent un climat dans lequel il devint possible de revendiquer le respect formel des droits humains et légaux, de réclamer des garanties. Dans cette atmosphère, les juristes soviétiques entreprirent de souligner les avantages de certains concepts formalistes de l'Occident, en particulier l'idée qu'un procès est une espèce de joute entre une accusation et une défense jouissant l'une et l'autre de droits égaux et qu'un accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit prouvée. Certains sont même allés jusqu'à suggérer l'instauration d'une espèce de jury, en tentant, d'ailleurs sans succès, de voiler la nature radicale de leur proposition en préconisant que le nombre des assesseurs du peuple soit porté de deux à six 23 • Le Parti lâcha du lest lors de la refonte complète des codes entreprise après les amendements constitutionnels de 1957. La commission spéciale du ministère de l'Intérieur, habilitée à expédier les gens dans des camps de travail sans même les entendre, fut supprimée. La police secrète fut placée sous la surveillance du parquet. Les procédures d'exception pour . les actes contre-révolutionnaires les plus graves et les crimes contre la sûreté de l'Etat furent abandonnées ; les doctrines de Vychinski, qui imposaient à l'accusé de fournir la preuve de son innocence et qui accordaient une grande importance aux aveux dans le cas de crime contre-révolutionnaire, furent répudiées. Les tribunaux militaires perdirent leur compétence vis-à-vis des civils, sauf dans les affaires d'espionnage. La loi permettant de punir les parents des membres des forces armées désertant à l'étranger fut abrogée. Les Principes fondamentaux de droit pénal, promulgués en 1958, stipulent qu'une loi pénale ne peut avoir un effet rétroactif à moins qu'elle ne le spécifie explicitement. Le statut de l'avocat est en train d'être redéfini avec plus de soin et dans un esprit plus favorable ; on a fait appel à la participation active des organisations d'avocats ainsi qu'aux facultés et instituts de droit lorsqu'il s'est agi de rédiger les projets préliminaires des nouveaux codes. On accorde maintenant plus d'importance au pouvoir que le procureur géné22. Cf., par ex., l'article de tête du n° 7 de 1957, et Tchékhalino : • Assurer les conditions nécessaires aux activités de l'avocat •• n° 2 do 1958. Cf. égnlement l'article de Soloptchlnko et Vilenski in la Ugalil~ socialiste, n° 8 de 1957. 23. Sur la situation et les fonctions des assesseurs du peuple, cf. Andreas Bllinsky : • L'avocat dans la société soviétique •• Contrat social, sept-oct. 1905.
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