E. KAMENKA fondamentale, les poursuites criminelles, le tribunal du peuple est absolument libre et il est guidé avant tout par le sentiment intime qu'il a de la loi 10 • EN 1927, P. J. Stoutchka, alors président de la Cour suprême de !'U.R.S.S., écrivait que « le communisme signifie non pas la victoire des lois socialistes, mais la victoire du socialisme sur n'importe quelle loi, étant donné qu'avec l'abolition des classes et de leurs intérêts économiques le droit disparaîtra entièrement » 11 • Telle semble bien avoir été l'attitude des bolchéviks lorsqu'ils prirent le pouvoir. Certes, les divers décrets pris entre 1917 et 1921 trahissaient une certaine hésitation quant aux rapports des tribunaux du peuple avec les concepts juridiques prérévolutionnaires qui n'avaient pas été spécifiquement abrogés par le nouveau régime, mais la tendance dominante était de faire passer la conscience, la fidélité à la révolution et la discipline bolchévique avant tout concept de droit en tant que tel. Le droit révolutionnaire était considéré comme un appareil de décrets destiné à réprimer les ennemis de classe et à faciliter la mise en place et le fonctionnement initial des institutions socialistes. Ledit appareil dépérirait dès que le pays tout entier serait devenu vraiment bolché- . v1que. Cependant, avec la nep (nouvelle politique économique, 1921-28), on a~sista à certains égards à un renversement de la tendance consistant à gouverner à l'aide d'une justice révolutionnaire. Les autorités soviétiques permettaient maintenant (en réalité, elles encourageaient) la réapparition de l'argent, du commerce privé, des koulaks et des chefs d'entreprises privées, fonctionnant sous licence d'Etat. Bientôt s'élabora un système complexe de droit et de procédures légales adapté à la nouvelle situation. En 1922 et 1923 furent promulgués une loi judiciaire, un code civil, un code de procédure civile, un code pénal, un code de procédure pénale, un code de la terre et un nouveau code du travail. Or la nep n'était qu'une restauration temporaire, partielle et strictement contrôlé~ du marché capitaliste. Les lois dont le besoin se faisait sentir n'étaient donc pas considérées comme des lois socialistes durables, mais comme des dispositions légales momentanées cal10. Ibid., p. 47. h 11. Vladimir Gsovskl : Soviet Civil Law, Univ. or Mie 1gan Law School, 1948, p. 170. Biblioteca Gino Bianco 105 guées sur le modèle capitaliste et destinées à disparaître lorsqu'il serait mis un terme aux concessions faites au capitalisme. Les rédacteurs des nouveaux codes les copièrent franchement sur ceux du monde non socialiste, notamment sur ceux de l'Allemagne, de la Suisse, de la France et de la Russie tsariste. La capacité légale, les personnes, les associations professionnelles, les transactions légales, le statut des prescriptions, la propriété, les hypothèques, les rapports entre propriétaire et locataire, les contrats et les dommages-intérêts, l'enrichissement inique et l'héritage - tout était traité en termes traditionnels, quoique subordonné en dernier ressort aux prétendus intérêts économiques du prolétariat. L'article premier du code civil stipulait : « Les droits civils seront protégés par la loi sauf dans les cas où leur exercice est en contradiction avec leur but socio-économique. » En même temps, la représentation juridique et l'enseignement du droit furent de nouveau codifiés. Après la suppression de l'ancien barreau en 1917, le décret n ° 2 concernant les tribunaux, pris en mars 1918, prévoyait la formation de collèges spéciaux composés de personnes qui, sans avoir nécessairement reçu .une formation juridique, devaient se consacrer à la représentation légale ; le décret n'en maintenait pas moins le droit de tout citoyen présent à l'audience d'agir en qualité d'accusateur ou de défenseur. Ces collèges avaient été autorisés à dresser des listes spéciales de « défenseurs » composées essentieliement de fonctionnaires d'entreprises publiques et de syndicats qui n'étaient pas habituellement juristes. A présent, en 1922, un barreau d'avocats de profession (advokatoura) était institué. Pour pouvoir exercer, il était obligatoire d'avoir fait ses études de droit à l'université ou d'avoir eu, pendant deux .ans, une activité dans la pratique juridique ; les honoraires d'un avocat étaient calculés en fonction du revenu de son client 12 • Cependant, la rédaction des nouveaux codes s'accompagnait d'une discussion juridique authentique, quoique politiquement circonscrite. Si nombre de ces documents souffraient de la hâte avec laquelle ils avaient été composés, les juristes soviétiques pouvaient néanmoins s'enorgueillir de la modernité de certaines de leurs vues théoriques sur le crime et la criminologie. C'est ainsi que les tribunaux de !'U.R.S.S. appliquaient des sanctions humaines telles que la 12. Pour un résumé récent do l'évolution du barreau soviétique, cf. Ivo Lapenne : • The Bar ln the Sovlel Union and Yugoslavia •• International and Comparative Law Quarterly, vol. 12 (1963), pp. 632-35.
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