Le Contrat Social - anno X - n. 2 - mar.-apr. 1966

102 d'autant plus de perdre la révolution politique . qu'on se croira dispensé désormais de lutter pour elle. La révolution dite sociale ne fera jamais que mettre un pouvoir à la place d'un autre. (1-u contraire, la révolution politique ne consiste pas tant à changer les pouvoirs qu'à poser une limite à tout pouvoir : la limite qu'exige le respect de l'homme. Ce qui importe, c'est qu'il y ait sous tout régime et dans tout organisme une institution comme celle des tribuns à Rome, une fonction ayant un pouvoir de refus, capable d'empêcher toute action par laquelle l'humanité arriverait à être traitée simplement comme un moyen. Ce qui importe n'est pas de changer les pouvoirs : ce changement n'est rien, les nouveaux seront semblables aux anciens. Faudrait-il donc en changer continuellement ? C'est peut-être ce que voulait dire Trotski quat?,d il parlait de « révolution permanente ». Mais ce n'est pas possible et ce ne serait pas bon. Le changement continuel des pouvoirs rie permet pas de construire, et ·il est cause de plus d'injustices qu'une certaine stabilité sous un pouvoir médiocrement juste. Car c'est le désordre, et rien n'est plus injuste que le désordre, rien n'est plus accablant pour les faibles, rien ne donne plus d'occasions et de moyens à la force brutale. Non pas révolution permanente, mais résistance permanente. Ce que disait Alain. Celui-ci avait vu que la faiblesse des partis de gauche vient surtout de ce qu'ils veulent faire deux choses à la fois : résister et faire la révolution. Ils seraient bien plus forts s'ils ne voulaient que résister, non seulement parce qu'ils y mettraient toute leur puissance, mais parce que ces deux intentions sont au fond contradictoires et que cette contradiction paralyse. Peut.:être la vraie révolution sociale n'estelle. pas autre chose que la révolution politique, c'est-à-dire une résistance plutôt qu'une révolution. Albert Camus avait vu la vanité de sa première devise : « De la résistance à la révolution ». Il voulait la remplacer par cette autre : « De la révolution manquée à la résistance BibliotecaGino B·ianco DÉBATS ET RECHERCHES nécessaire ». Mais la révolution est toujours , manquee ... LES PRINCIPAUXMOYENSde la résistance, on les connaît. Dans l'Etat, c'est, d'une part, le droit de juger une politique et de la blâ~er, par le vote à bulletins secrets. (sur une que~tlon claire et comportant le choix entre plusieurs solutions) ; d'autre part, le droit de connaître les faits et de les juger, par la liberté de la presse et la liberté d'opinion. Le vote à bulletins secrets et la liberté de la presse se complètent ;. car le vote ne servirait guère si le public n'était informé, et, d'autre part, la presse pourrait fabriquer une apparence d'opinion et la faire prendre pour l'opinion générale si la vraie opinion générale ne pouvait se manifester de temps à. autre par le vote secret. Dans l'usine, dans l'administration (qui sont de plus en plus des sortes de cités), les moyens de la résistance sont anal.ogues. C'est la possibilité de parlementer par l'entremise de syndicats élus à bulletins secrets ( dans des élections comportant des questions claires et offrant le choix entre plusieurs représentants et plusieurs politiques). Celle aussi d'être informé et de contrôler soit par le moyen . de ces mêmes syndicats, soit par d'autres institutions. Enfin, c'est pouvoir s'opposer à une politique ou à une mesure par le moyen de la ' greve. Il faudrait s'accrocher désespérément à ces droits, les seules armes des pauvres, quoi qu'on dise. Le plus important est peut-être la liberté d'opinion. Sans la liberté de parler, d'écrire, de critiquer, d'interpeller ceux qui gouvernent, de blâmer une certaine politique, les droits des pauvres, si bien reconnus qu'ils soient en théorie, ne sont pas respectés en pratique. Sans la liberté d'information et d'opinion, il est impossible que le public sache la vérité, car seul le gouvernement peut parler et il ne se peut ·pas qu'il ne présente comme vrai ce qui lui est utile. Or là où la vérité n'est pas connue, les droits du pauvre ne sont pas respectés. SIMONEPÉTREMENT. 0 ,

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