S. PÉTREMENT venue leur faiblesse, et toutes leurs contradictions ; de là que leurs efforts se sont tournés contre leur but. De là enfin que, de nos jours, le socialisme s'est divisé en deux partis, en fait presque contraires. L'un, qui est avant tout démocrate, devient par la force des choses conservateur et presque réactionnaire. L'autre, s'attachant surtout au prétendu moyen de réaliser le socialisme, c'est-à-dire au progrès technique et à l'organisation rationnelle de la production, fait bon marché de la liberté, de l'égalité, de l'humanité. De là ce fait qui surprend et devant lequel beaucoup veulent fermer les yeux : la révolution du xxe siècle est de droite, le progrès technique est de droite. Les communistes ne sont guère moins nationalistes que les fascistes (là où ils ne sont pas dirigés de l'étranger), ni les fascistes moins socialistes que les communistes. Ou plutôt ils travaillent les uns et les autres à édifier des régimes qui, en un sens, sont très socialistes, et en un autre, ne le sont point du tout. Ils le sont en tant qu'ils remettent toute richesse et toute puissance entre les mains de la société. Ils ne le sont pas en tant que, les individus n'y étant pas égaux, cette puissance donnée à la société n'est qu'une force tyrannique qui les écrase. Que l'industrie soit nationalisée, cela n'empêche nullement l'ennui ni lecaractère. pénible du travail d'usine ; cela permet au contraire de le rendre plus épuisant encore sous le prétexte de servir la patrie. Que la propriété soit socialisée, cela n'empêche pas que, pour l'exploiter, les uns aient le meilleur travail et le plus de profit, tandis que les autres n'ont que leurs restes ; que les uns soient les maîtres, les autres leurs sujets ou leurs esclaves. Bien au contraire, la division du travail se trouve accrue et il n'est plus permis de changer de maître. Si une telle société protège encore ses membres contre la nature et contre les sociétés rivales, elle les protège si peu contre elle-même que leur servitude est parfois pire qu'elle ne l'eût été de toute. autre façon. Ainsi le moyen choisi par le socialisme allait contre sa fin. Les révolutionnaires ont été, dans leurs projets à courte échéance, des réalistes qui adaptaient à une économie nouvelle des institutions devenues gênantes, et dans leurs desseins plus lointains, des utopistes qui pensaient aboutir ainsi à la libération et à l'égalité des hommes. Et peut-être, selon qu'ils étaient par le cœur des amis de l'égalité ou des ambitieux avides de puissance, voyaient-ils surtout dans le socialisme et la révolution, les uns, la Biblioteca Gino Bianco 99 promesse de l'âge d'or, les autres, la possibilité d'entreprises immédiates d'oppression. II LÀ ou il n'y a pas d'égalité, existe-t-il encore une société ? L'état social, n'est-ce pas la paix ? Or l'inégalité, c'est la guerre : maîtres et esclaves ne sauraient être amis. On s'indigne de la lutte de classes, que ne s'indignet-on de ses causes ? Si une certaine organisation gagne sans cesse en force et en cohérence, la vraie société se décompose peut-être peu à peu. Ce que beaucoup ont cherché dans le socialisme, c'était la véritable union, la véritable amitié et fraternité humaine. C'est parce qu'il songeait lui aussi à cette union, à cette amitié, que Rousseau critiquait ce qu'il nomme « la civilisation », ce qu'il appelle aussi « la société », et qui est au fond l'interdépendance ,, . economzque : Qu'on admire tant qu'on voudra la société humaine, il n'en sera pas moins vrai qu'elle porte nécessairement les hommes à s'entre-haïr à proportion que leurs intérêts se croisent [souligné par nous], à se rendre mutuellement des services apparents et à se faire en effet tous les maux imaginables. Que penser d'un commerce où la raison de chaque particulier lui dicte des maximes directement contraires à celles que la raison politique dicte au corps de la société, et où chacun trouve son compte dans le malheur d'autrui ? ( ...) La perte de l'un fait presque toujours la prospérité de l'autre. ( ...) Les calamités publiques font l'attente et l'espoir d'une multitude de particuliers ; les uns veulent des maladies, d'autres la mortalité, d'autres la guerre, d'autres la famine. ( ...) Si l'on me répond que la société est tellement constituée que chacun gagne à servir les autres, je répondrai que cela serait fort bien s'il ne gagnait encore plus à leur nuire. Il est vrai que plus une société se fonde sur la division du travail, et par conséquent sur l'échange des services, plus l'intérêt de chacun y est, en un sens, contraire à celui des autres. Chaque corps de métier a pour intérêt de travailler le moins possible et de gagner le plus possible ; ce qu'il gagne, c'est un droit sur le travail d'autrui ; ainsi, plus il gagne, plus il faut que les autres travaillent ; moins il travaille, et moins les autres peuvent gagner. En outre, à l'intérieur de chaque métier, s'il n'y a pas organisation, il y a rivalité entre les producteurs. S'il y a organisation, si le travail se fait collectivement (dans une usine, par exemple, ou dans une administration), plus l'un en fait, moins les autres doivent en faire, parmi ceux qui exécutent la même tâche ; et, pour ceux dont ce n'est pas le cas, si l'un prend le travail intéressant, l'autre doit se contenter des tâches ennuyeuses ou pénibles. Ainsi la nation
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