P. HASSNER sans ou les ouvriers, qu'il est normal de la trouver. C'est pourquoi « le meilleur moyen est de confier aux chefs des entreprises industrielles le soin de faire le budget et par conséquent de diriger l'administration publique ; car, par la nature des choses, les chefs des entreprises industrielles (qui sont les véritables chefs du peuple, puisque ce sont eux qui le commandent dans ses travaux journaliers) tendront toujours directement, et pour leurs propres intérêts, à donner le plus d'extension possible à leurs entreprises. Et il résultera de leurs efforts, à cet égard, le plus grand accroissement de la masse des travaux qui sont exécutés par les hommes du peuple 13 • » Ainsi, la solidarité des intérêts n'exclut pas la subordination ; le remplacement du gouvernement des hommes par l'administration des choses ne supprime pas l'organisation hiérarchique du travail, elle lui accorde au contraire une consécration et une extension sur le plan de la société globale. Pour reprendre et prolonger l'exemple donné par Michel Chevalier à propos des préfets, si l'on admet qu' « il viendra un moment où on trouvera aussi absurde qu'un homme ait la prétention d'être le premier magistrat de la SeineInférieure, par exemple, en restant étranger à la fabrication et au commerce des cotonnades qu'il le serait de mettre un évêque à la tête d'un régiment de carabiniers ou de hussards » 14 , il semble que la solution saint-simonienne soit moins d'initier les préfets à la fabrication et au commerce des cotonnades que de nommer comme préfets les fabricants et les commerçants " eux-1nemes. CHEZAUGUSTECoMTEplus nettement encore que chez Saint-Simon, il y a acceptation, au temporel, de la hiérarchie économique et sociale existante. Sur le plan de l'industrie elle-même, il affirme que « la doctrine communiste méconnaît la constitution naturelle de l'industrie moderne, d'où elle voudrait écarter des chefs indispensables. Il n'y a pas plus d'armée sans officiers que sans soldats ; cette notion élémentaire convient tout autant à l'ordre industriel qu'à l'ordre militaire » ; de plus, la nécessaire distinction entre administrateurs et exécutants prend naturellement, dans la société, la forme de la division entre entrepreneurs et travailleurs. La tendance moderne à la concentration indus13. Cité par Fr. Ponteil, in Politique el technique, p 268. 14. Cité par M. Merle, in Politique el technique, p. 31. BibliotecaGino Bianco 91 tri elle est favorable aux prolétaires, car la « systématisation morale de la vie matérielle » n'est possible que grâce à une grande concentration des richesse et à des chefs puissants ; or ce qui compte, ce n'est pas de réformer « le mode d'acquisition du pouvoir, public ou privé », mais « d'en régler l'exercice, en quelques mains qu'il réside » 15 • Sur le plan de la société globale, ce sont les mêmes riches actifs qui constituent le patriciat « destiné naturelletnent à la prépondérance civique et même à constituer l'harmonie active des cités quelconques » 16 • Si les « riches actifs » sont les « seuls véritables chefs temporels de la société moderne », c'est parce que, « depuis que celle-ci [l'existence industrielle] prévaut, la richesse n'est plus seulement le signe de la force matérielle, mais aussi sa principale source habituelle, d'après l'emprise qu'elle procure sur la masse active. Dans ce monde final de l'existence pratique, la possession de capitaux fournit le principal titre à la direction des travaux spéciaux 17 • » Une première différence avec la pensée de Saint-Simon, telle du moins qu'elle apparaît dans les textes que nous avons cités, consiste .dans l'identification de la catégorie dirigeante à l'intérieur de la classe dirigeante industrielle ou du patriciat. Chez Auguste Comte, « la hiérarchie patricienne » est « naturellement conforme au principe universel du classement positif, d'après la généralité croissante et. l'indépendance décroissante ». Ce principe conduit à distinguer trois classes essentielles, suivant que l'action industrielle, de plus en plus concentrée, « produit, élabore ou transporte les matériaux convenables aux besoins humains », c'est-à-dire l'agriculture, la fabrication et le commerce. Comte en tire la conclusion que la « hiérarchie patricienne » ne saurait être complètement unifiée, puisque « nul ne pourrait diriger convenablement à la fois l'agriculture, la fabrication et le commerce ». Mais surtout, « l'organisation industrielle resterait impossible si le développement de l'office le plus concentré n'avait pas fait surgir une industrie encore plus condensée, qui se rattache à toutes les autres par la circulation des valeurs et l'essor du crédit ». C'est ce « suprême degré de l'abstraction pratique » qui constitue le principe du « suprême patriciat », celui des banquiers. Il y a donc supériorité normale de la banque << envers le commerce, la fabrication et l'agriculture ». 15. Système de science politique, tome 1, p. 159, Paris 1929. 16. Ibid., IV, 80. 17. Ibid., II, 403.
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