Le Contrat Social - anno X - n. 2 - mar.-apr. 1966

90 autre ne peut se passer d'elle 8 • » Elle est « la classe nourricière de toute la société, celle sans laquelle aucune autre ne peut subsister » ~. Partant Saint-Simon postule que « tout se faisant p~r l'industrie, tout doit se faire pour elle » et donc, non seulement que le fait de satisfaire les besoins les plus indispensables, les plus immédiats, doit assurer le plus grand prestige, voire le premier rang, mais encor_e que ce rang doit automatiquement se traduire en direction de la société. C'est que, même quand il donne une définition des besoins et des industriels qui ne se limite pas aux biens matériels et· à leurs producteurs, il fait appel à la trinité des savants, des artisans et des artistes, à l'intérieur de laquelle il n'y a pas de place pour une science, une technique ou un art de la politique. Deux passages de l'Organisateu~ le montrent bien : « Les hommes ne peuvent etre heureux que par la satisfaction de leurs besoin~ physiques et de leurs besoins moraux, ce. qui est le but unique et l'_objetplus ou moins direct des sciences, des beaux-arts et des arts et métiers. C'est à ces trois directions et à elles seules que se rapportent tous les travaux utiles à la société : hors de là, on ne trouve que les parasites ou les dominateurs. » La conséquence est immédiate : « L'administration des intérêts généraux de la société doit être exclusive.ment confiée aux artistes, ,-aux savants, aux artisans, seuls possesseurs des c~pa~ités pos~tiyes 9ui sont les éléments de 1 action administrative utile 10 • » Autrement dit, le gouvernement n'est que le fait des « dominateurs » ou celui des « adrninï"strateurs ». Comme plus tard pour le marxisme, il n'a pas d'autre fonction que la coerci!ion ou l'administration. Une fois que la production, c'est-à-dire l'administration des choses et non le gouvernement des hommes, est reconnue comme le but de la société, la coercition doit s'effacer devant l'administration, l'action gouvernementale doit être « considérée comme subalterne » et « l'action administrative constituée comme action suprême » 11 • Comme les savants, les artistes et les conducteurs des travaux industriels sont ceux qui possèdent les capa~ités l~s plus positives, ils sont « ceux auxquels il ~allait confier le pouvoir administratif,. c'est-à-dire l_e soin de diriger les intérêts nationaux ; et il fallait réduire les fonctions du gouvernement à, celle de maintenir la tranquillité publique ». 8. Catéchisme des industriels (1823), premier cahier. Cf. Bouglé, p. 155. . lé 155 9. Catéchisme ... (1824), 4e cahier. Ç~-Boug , p. . . 10. Cité par Fr. Ponteil, in Politique et technique, pp. 266-67. . 11. L'Organisation sociale · (1825). Cf. Bouglé, pp. 196-97. BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES Cette fonction gouvernementale, les admini~- trateurs l'exerceront sans danger pour les administrés puisque, par définition, ils s'intéressent au travail, non à la domination. La négation de la politique comme pouvo_ir légitime d'orientation, d'ar~it~ag; .et de choi; dans des situations de conflit interieur ou exterieur et son remplacement par l'administration ' . mise au service d'un tout unique et commun, la production, constituant la constante saintsimonienne les variations intéressantes portent sur la dét~rmination et la hiérarchie interne des administrateurs, des industriels et des producteurs. Au début, Saint-Simon semble pen: cher pour la définition la plus large, c_ellequi groupe tous les. travailleurs. et les particu.lans_e en savants artistes et artisans ; a la fin, il semble acc~rder le rôle décisif aux industriels au sens actuel c'est-à-dire aux chefs des entreprises industri~lles. Dans Le Système _indu_s:riel, où il esquisse la distinction du pouvoir spir1t1:1el et du pouvoir temporel, il prol?ose de co~fi~r le premier aux savants ( à savoir « aux differentes académies des sciences d'Europe et à toutes les personnes qui méritent d'être admises dans ces corporations scientifiques ») et l_e second aux « entrepreneurs de travaux p~_cifiques qui occupent le plus grand nombre d mdividus » et qui par intérêt personnel, assureront la paix et' la bonne marche de l 'économie 12 • Il semble, dans ce texte, mettre sur ~e même plan les savants, détenteurs du pouvoir spirituel, et \es industriels, 1ét~nteurs du_pouvoir temporef. Dans le Catechtsme des industriels il considère que « les savants rendent des servi~es très importants à la classe industrielle, mais ils reçoivent d'elle des services bien plus importants encore, ils en reço!vent l'e~istenc,e », et il conclut de cette observation « quelle determine à ne pas nous adresser du _tout aux savants, ou ·plutôt à ne nous ~dresser à eux que comme à une classe secondaire ». En ·fait les mêmes raisons qui ont conduit Saint-Sim~n à affirmer la prééminence, dans la société des industriels au sens large, le conduisent à ~ffirmer, parmi ceux-ci, la prééminence des industriels au sens étroit. D'une part, les savants reçoivent d'eux l'existence : c'est la classe industrielle qui « satisfait leurs premiers besoins, ainsi que leurs goûts physiqu_esde tous les genres ». D'autre part, en ce qui concerne la capaéité administrative, qui doit permettre de diriger les affaires publiques, c'est bien chez les chefs d'entreprises industrielles plutôt que chez les savants, les artistes, et même les arti12. Catéchisme (1824), 4e cahier. Cf. Bouglé. p. 185.

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