82 gnés par la tourmente, tel le Boit de Daniel -Fibich, pensaient alors : « Les Barbares ont fait ce qu'ils avaient à faire. Par le fer et par le feu, ils ont nettoyé l'ancienne société. Maintenant, ils peuvent partir. Le sol est fertilisé par tout le sang répandu ; pourquoi désormais ne verrait-on pas s'y épanouir les fleurs de la démocratie ? Il suffirait de bien peu de chose pour cela, comme le disaient Tolstoï et Dostoïevski. Il suffirait de vouloir, et de remplacer la haine par l'amour. » D. Fibich croyait apparemment à une telle évolution, lui qui fait dire à l'ingénieur Boit : - C'est vrai, les meules écrasent et broient le grain ; mais la farine qui en sort se transforme finalement en pain. Je puis dire, vous savez, comme ce personnage de l'Evangile : « Je crois, Seigneur, mais augmentez ma foi. » ,,*.,,. CES ESPOIRS devaient être déçus. Le type d'homme auquel « tout est permis » n'a pas disparu de la vie soviétique, bien au contraire. Avec les plans quinquennaux, il s'est extraordinairement multiplié pour devenir presque un article de série. Pendant la guerre civile, il était apparu spontanément ; dans la période qui suivit, c'est l' appareil de l'Etat tout entier qui se mit à le cultiver et à l'exalter. Ces hommes se recrutaient avant tout dans la masse d'une jeunesse volontaire et dynamique, argile des plus malléable et que la doctrine officielle avait suffisamment « libérée de nombreux préjugés » (L. Trotski). Cette jeunesse voulait désormais commander, jouer un rôle actif ; les années difficiles qui l'avaient vu grandir l'avaient habituée à l'égoïsme forcené d'un Tchaguine, à l'idée que l'on pardonne tout à celui qui est fort. Les plans quinquennaux virent donc naître le type des Tchaguine-membres du Parti. Leurs objectifs dépassant toute mesure, sans le principe du « tout est permis », ils seraient demeurés lettre morte. Il s'agissait de « rattraper et dépasser les nations capitalistes les plus avancées », de couvrir le pays d'un réseau d'usines colossales et surtout d'anéantir cent vingt millions de paysans propriétaires, afin de collectiviser l'agriculture. Ainsi devait être résolue la question, « si douloureuse pour l'humanité », du pain quotidien. Ainsi devait être mise en place l'armature technico-économique de la société sans classes, afin de « rendre l'humanité définitivement heureuse ». C'est au nom de cette grande « idée » que les chefs de la révolution se dirent : « Tout est permis »... BibliotecaGino Bian.co LE CONTRAT SOCIAL « Il suffit d'oser ! » Par exemple, est-il admissible, pour accumuler les capitaux nécessaires à l'industrialisation, d'affamer le peuple ? Oui. Est-il admissible, en vue de la création des kolkhozes, d'arracher aux paysans jusqu'à leur dernière brebis et leur dernière poule ? Oui. Est-il admissible de faire régner la terreur parmi les savants et les spécialistes, d'en faire des esclaves auxquels on ne .laisse la vie sauve qu'afin de les utiliser à la réalisation des plans quinquennaux ? Peut-on admettre le mensonge systématique, la fourberie, la provocation ? Et les camps de concentration, le travail forcé, la déportation de millions de paysans ? Oui, toujours oui. Pour écraser l' « homme ordinaire » qui ne comprend pas, qui résiste et se débat, tout est permis. Peut-on faire fi des lois économiques selon lesquelles il était impossible, franchissant d'un coup toutes les étapes, de passer directement au socialisme ? Et pourquoi pas ? Après tout, les lois économiques, sociologiques, etc., ne sont pas comparables à celles de la physique, de la chimie et de la mécanique; ce sont de simples généralisations à partir d'observations sur les relations humaines à travers l'histoire. Il suffit d'oser inverser ces rapports, et toutes les lois n'existent plus. Mais les hommes vont avoir à souffrir de cette décision ? Ils vont résister ? Aucune importance. « Nous » les contraindrons à créer entre eux le type de rapports jugé nécessaire et qui, finalement, les rendra heureux. Mais s'ils ne veulent pas comprendre, s'ils se refusent à cet'te expérienc,, s'ils n'acceptent pas le bonheur que nous leur préparons, s'ils se révoltent, alors nous les exterminerons. « Tous jusqu'au dernier. S'ils sont cent millions, on en exterminera cent millions. Pour faire triompher la révolution~ il faut être prêt absolument à tout », déclare Epstein dans le roman de Savinkov. Car c'est nous qui sommes le sel de la terre. C'est nous qui faisons l'histoire, et comme nous nous sommes tout permis · nous atteindrons notre but. De l'Angleterre et la France « démocratiques » jusqu'à l'Amérique, elle aussi « démocratique », le monde entier nous a reconnus, et par-là même il a reconnu que « tout est permis ». Raskolnikov avait raison : - Celui qui est capable de cracher plus loin est toujours leur législateur, et celui qui est capable d'oser plus que tous a raison plus que tous. , Lorsque les Bolotov abattaient les grandsducs, les ministres du tsar et des policiers comme Slezkine. leur cœur se serrait. A l'épc que des plans quinquennaux, aujourd'hui encore, revo·Ivers et mitrailleuses sont impitoya-
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