Le Contrat Social - anno X - n. 2 - mar.-apr. 1966

74 gramme d'Irkoutsk : « Sérieusement malade. Bien soigné. Ne t'inquiète pas. Baisers..Alexandre. » Sa famille l'attendait avec impatience. •*• PouR LE GUÉPÉOU, cette libération n'était qu'une étape dans la transformation de Iakouchev en agent provocateur. Pris dans l'engrenage, il devait rapidement se trouver devant le dilemme suivant : ou bien abandonner la M.O.Tz.R. et être liquidé comme traître par les conjurés, ou bien entrer carrément .au service du Guépéou pour continuer le travail clandestin au profit de ce dernier. Une semaine plus tard, en avril 1922, il rencontra dans la rue Rtichtchev, ex-chambellan de la cour impéri~le, ci-devant richissime propriétaire terrien, membre du Conseil politique de la M.O.Tz.R. Rtichtchev lui annonça que le conseil, heureux de retrouver Iakouchev en bonne santé, avait décidé de le mettre à la tête d'un nouveau « groupe très actif » formé :pendant son séjour en Sibérie. L'animateur de ce groupe devait lui téléphoner en termes convenus pour prendre rendez-vous. Iakouchev fut très étonné de constater que, malgré ses aveux, la M.O.Tz.R. fonctionnait comme auparavant. Artouzov avait donc raison : comment rester simplement loyal dans une telle situation ? Il reçut le coup de téléphone annoncé et rendez-vous fut pris pour le jour même. Mais avant d'y aller, il prévint Artouzov, qui lui conseilla de s'y rendre « pour ne pas éveiller, par son refus, des soupçons chez ses anciens amis ». . Dans un square, à 16 heures, un homme bien mis l'aborda de la part de Lubsky (alias Rtichtchev) et se présenta, avec un léger accent allemand : - Pour vous, mon nom est Edouard Ottovitch Sta~ni_tz·. Pour ·l~s autres, je me nomme Opperput, Sehanmov, Upeln1tz, etc., selon les circonstances. Pour pouvoir parler librement, Staunitz invita Iakouchev à déjeuner dans un petit restaurant caucasien dont il connaissait le propriétaire. Après qu'ils eurent traversé une salle enfumée et bondée de clients bruyants, on les conduisit au fond d'un couloir dans une espèce de réduit dont la fenêtre donnait sur la cour. On y entendait à peine les bruits du restaurant. Ce local était, selon Staunitz, très commode pour les entretiens confidentiels : « En cas d'alerte, on ouvre la fenêtre et on s'évapore en silence et sans laisser aucune trace. » Pour rompre la glace et mettre Iakouchev en confiance, Staunitz lui .raconta quelques dé- • Biblioteca.Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL tails sur lui-même : fuite à Istanbul à bord d'un rafiot grec de Crimée au moment de l'évacuation de l'armée Wrangel, séjour en prison comme vagabond en Turquie et en Roumanie, puis Berlin où, étant sur le pavé, il avait été recruté par Savinkov ; de là, mission terroriste en Russie, passage de la frontière à plat veritre, pistolet au poing, rendez-vous convenu transformé en souriciè~e par les tchékistes; prison et perspective d'une balle dans la nuque. Sauvé de ce triste sort par l'abolition provisoire de la peine capitale, il est condamné à la détention dans un camp de concentration jusqu'à la fin de la guerre civile. Ensuite la libération, la nep, la possibilité de faire 'des affaires, la réussite dans la spéculation et le mariage avec une jolie fille insignifiante. Conscient de l'impossibilité de faire une carrière brillante dans l'incertain de la nep, Staunitz avait décidé de miser sur le renversement .. du pouvoir soviétique, sur la révolution monarchiste et sur une future dictature militaire. Pour les préparer, il avait déjà recruté un groupe de quelques ci-devant prêts à tout et même un officier de l'Armée rouge. Cet ancien commandant d'un régiment bolchévique, fils d'un paysan fusillé par les Rouges, suivait actuellement un cours de perfectionnement à Moscou. Pour les réunions de son groupe, Staunitz avait loué, dans un faubourg de Moscou, un entrepôt gardé par un ancien fonctionnaire de l'Okhrana. Cette prise de contact avec Staunitz avait profondément impressionné Iakouchev. Il avait affaire à un aventurier sans scrupules, énergique, rusé et visiblement cruel, ne s'arrêtant devant rien. Il demanda à Artouzov une entrevue de toute urgence. Convoqué à 11 heures ~u s?jr,. il ,_fut sur~ris d'apprendre que Dzer11nsk1lu1-meme allait le recevoir. L'accueil du chef du Guépéou fut des plus amical. Emu de se trouver devant un tel personnage, Iakouchev, en phrases hachées, déclara que la situation était devenue telle qu'il ne pouvait en sortir par ses propres moyens. « Eh bien, nous essayerons de vous aider », répondit Dzerjinski. Iakouchev raconta en détail sa rencontre avec " Rtichtchev et son entrevue avec Staunitz : -. J'ai cru ~ouvoir leur fai~e . comprendre que je quitte pour touJours leur association. Mais ce n'était pas possible : je savais trop de choses et ces gens très . soupçonneux, surtout Staunitz, ne s'arrêteront certainement pas devant l'assassinat. · - Oui,, ce sont des bêtes féroces, ils ne vous laisseront pas tranquille. Que faire pour vous protéger? Vous envoyer très loin en province ? Mais pour eux vous êtes une personnalité et ce départ les mettra en alert~. ~r ~e n'est pas le moment de les effaroucher: La hqu1dat1on de la M.O.Tz.R. est une affaire qui sera réglée plus tard. Quant à l'autre possibilité ...

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