380 sentiment d'une perte à jamais inoubliable, une grande tristesse a traversé d'une démarche invisible tout le pays et a pris possession de chaque foyer, de chaque famille. En ces jours, les gens pleurent dans la solitude et aussi, sans honte, aux yeux de tous. En ces jours, les larmes pures des enfants et des femmes se mêlent aux larmes neuves des hommes qui, pendant les quatre années de guerre, n'ont pas versé une larme sur les champs de bataille et grinçaient seulement des dents, sans avoir appris à pleurer ... Le chef tombe, frappé à mort sur le champ de bataille ; les poltrons et les sceptiques fuient, pris de panique, ou piétinent sur place; mais les combattants dignes de ce nom luttent avec encore plus d'acharnement et de fureur, vengeant sur l'ennemi et, semblerait-il, sur la mort elle-même, la mort de leur chef ! Mais quand donc notre peuple héroïque n'a-t-il pas été un héroïque combattant ? Tel il s'affirme aussi en ces jours de tristesse : le travail bouillonne avec une fureur accrue sur les nouveaux chantiers, dans les ateliers des usines, dans les mines et dans les champs du sud de la Patrie ; les hommes déploient encore plus d'acharnement partout où, pensant à Staline, ils travaillent, construisent, créent, transforment, animés par la même pensée grandiose, par l'idée du communisme. Et, loin de Moscou, où que nous soyons, nous voyons tous à présent Moscou, la salle des colonnes de la Maison des syndicats, les drapeaux crêpés de noir et en berne, le cercueil dans son cadre de verdure, et le cher visage connu dans chacun de ses traits, dans la moindre de ses rides, et en même temps déjà séparé de nous par la mort... Adieu, père ! Adieu, cher père que nous aimerons jusqu'à notre dernier souffle ! Combien grande est notre dette à ton égard ... Nous sommes des millions, et nous te disons tous mentalement adieu, nous passons lentement devant ton cercueil, cherchant à graver tes traits dans notre mémoire, nous nous inclinons bien bas et te donnons un baiser filial, t'accompagnant à ton dernier voyage... Tu seras toujours avec nous et avec ceux qui entreront dans la vie après nous. Nous entendons ta voix dans le grondement rythmé des turbines des centrales hydro-électriques géantes, et dans le bruit des vagues des mers créées par ta volonté, et dans le pas cadencé de l'invincible infanterie soviétique, et dans le doux bruissement du feuillage des bandes boisées qui s'étendent à l'infini. Cher père, tu es pour toujours et partout avec nous. Adieu! MIKHAIL CHOLOKHOV. (Ecrit à la stanitsa Véchenskaïa) C'est encore le cas de dire : tout commentaire serait superflu. Au XXIIe Congrès du Parti, où fut adopté le nouveau programme communiste, véritable monument de sottise et de charlatanisme, Cholokhov ose blâmer rétrospective1nent les staliniens et. entonne le péan en l'honneur de Khrouchtchev : « Et avant tout, comment ne pas dire merci au principal créaBfbliotecaGino Bianco -., LE CONTRAT SOCIAL teur du Programme, notre Nikita Serguéiévitch Khrouchtchev ! » Dans ce discours, il se permet des allusions menaçantes à l'adresse des jeunes écrivains et poètes qui s'écartent du « réalisme socialiste » à la Staline et à la Jdanov. Au 2e Congrès des écrivains tenu à Moscou le 3 mars dernier, il prononce des paroles définitives : « Le problème de l'intelligentsia se décide chez nous assez simplement : soyons des soldats fidèles du parti léniniste ( ...), voilà tout le problème. » Il essaie de terroriser ceux qui, « parmi nous, font les coquettes en exhibant leur libéralisme », et il définit le réalisme socialiste comme « l'art de la vérité de la vie comprise et interprétée d'après la position de l'appartenance léniniste au Parti ». Bref, de quoi donner la nausée. Ce n'est pas l'avis de l'Académie suédoise et de ce M. Osterling qui ne reculent devant rien, en fait d'obséquiosité, pour se concilier l'abominable despotisme soviétique et ses tristes sous-produits dans le monde. Les communistes à Moscou en profitent pour proclamer à son de trompe que l'Occident bourgeois (qui cesse momentanément d'être l'Occident pourri) est contraint de s'incliner bien bas devant ce qui leur tient lieu de littérature. « Reconnaissance mondiale », tel est le leitmotiv de leurs commentaires stupides, qui prennent l'allure de communiqués militaires pour chanter victoire. A vrai dire, la presse de l'Occident pourri ne leur donne pas tort, tant en Europe qu'en Amérique. Les plumitifs les plus ignares et les plus vulgaires, médusés par l'argent suédois, renchérissent sur les vantardises de leurs « confrères » asservis par l'Etat policier soviétique. Car le prestige de ce prix Nobel de littérature repose uniquement sur l'argent puisque personne ne connaît ceux qui le décernent, leurs noms, leurs titres, leurs œuvres. Dans leur indignité, ces exécuteurs testamentaires d'Alfred Nobel ne représentent qu'une certaine bourgeoisie apeurée, démissionnaire devant les parvenus de la révolution russe, fascinée par le cloaque de Saint-Germaindes-Prés. Ils méritent en vérité les outrages que les « orphelins de Staline » leur prodiguent et que Cholokhov vient de renouveler, le -30 novemb;e, en bavant derechef sur Pasternak, « émigré de l'intérieur », et sur Bounine, « apatride ». Le salaud ne se gêne plus pour avouer ainsi sa mentalité nazie et pour cracher au visage de tous les Osterling en affirmant « qu'il se considérait comme le premier véritable écrivain soviétique à se voir décerner le prix Nobel de littérature » (Figaro du 1er décembre).
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