S. PÉTREMENT que moyen on ait pu la rendre inopérante, et le vote ·n'est plus alors qu'une apparence et une formalité. SI L'ON A COMMIS une erreur au sujet de l'idéal démocratique, c'était sans doute de croire qu'il nous entraînait du même côté que l'évolution économique, et que ces deux mouvements, le mouvement vers la démocratie et l'évolution économique, se confondaient en un seul que l'on nommait le progrès. Rousseau ne s'était pas trompé : il semble bien que l'idéal démocratique soit derrière nous plutôt que devant nous et les peuples primitifs en étaient sans doute moins éloignés que nous. Il existe des tribus sauvages où û:gne une véritable égalité, une véritable liberté. Les chefs y mènent la même vie que les autres hommes, ou peu s'en faut ; souvent ils ne commandent qu'en temps de guerre et sont de simples citoyens en temps de paix. Les chefs des sociétés primitives peuvent être appelés rois ; en fait, ils ne gouvernent qu'à la condition de persuader ; c'est l'opinion générale qui est reine. Ils ne peuvent guère imposer d'autres lois que celles qui sont reçues dans l'usage et ne font presque rien d'important sans le consentement de l'ensemble du peuple, tout au moins des chefs de famille. Chez les civilisés, au contraire, la différence des travaux met entre les hommes des différences croissantes, et Auguste Comte a sans doute raison de soutenir que le progrès développe extrêmement les inégalités intellectuelles dans l'humanité. En outre, presque toutes les grandes et merveilleuses inventions, ainsi que tous les aménagements qui ont bouleversé la vie humaine depuis un siècle, ont été aussi des moyens merveilleux de nous asservir. Il ne faut que quelques mitrailleuses pour tenir en respect toute une foule ; il ne faut que quelques avions pour terroriser une ville ; il suffit de détruire une usine à gaz, une ligne électrique, une ligne de chemin de fer, une route, une conduite d'eau, pour jeter dans l'embarras et la misère une population tout entière. Que devient la force du nombre, de la majorité, quand tout un peuBiblioteca Gino Bianco 377 pie est à la merci de quelques hommes ? Comment les lois seraient-elles efficaces quand elles sont si différentes des faits ? Je ne sais si l'on a examiné sérieusement, du moins en France, les rapports du droit démocratique avec l'économie moderne. On semble s'être reposé sur l'illusion, combattue par Marx mais entretenue par ses disciples mêmes, que la vie et l'ordre économiques pourraient se plier à la vie et à l'ordre politiques ; que l'on pourrait soumettre à des lois justes un système de travail peut-être très injuste ; que les moyens de production n'étant après tous que des moyens, ceux-ci peuvent servir à n'importe quelle fin ; que les machines, choses passives, ne déterminent rien par elles-mêmes et peuvent être employées aussi bien en vue de la liberté que de l'esclavage. Or il n'est pas vrai que les mêmes moyens puissent servir à tout, et les machines, dès qu'on prétend les utiliser, imposent certaines formes de travail, d'association, de commandement et d'obéissance. Il n'est pas vrai que l'ordre économique soit au service du droit politique ; lorsque se produit entre eux une opposition irréductible, c'est le second qui est obligé de céder. Rousseau luimême, qui avait distingué plus fortement que personne le droit et la force, le droit et le fait, Rousseau qui disait que la loi n'est pas faite pour suivre toujours la nature, mais doit la redresser quand celle-ci a tort, ne croyait pas ce redressement possible quand la loi et la nature sont trop éloignées l'une de l'autre. Il écrit dans le Contrat social : Ce qui rend la constitution d'un état véritablement solide et durable, c'est quand les convenances sont tellement observées que les rapports naturels et les lois tombent toujours de concert sur les mêmes points, et que celles-ci ne font, pour ainsi dire, qu'assurer, accompagner, rectifier les autres. Mais si le législateur, se trompant dans son objet, prend un principe différent de celui qui naît de la nature des choses ; que l'un tende à la servitude et l'autre à la liberté ; l'un aux richesses, l'autre à la population ; l'un à la paix, l'autre aux conquêtes : on verra les lois s'affaiblir insensiblement, la constitution s'altérer ; et l'état ne cessera d'être agité jusqu'à ce qu'il soit détruit ou ~hangé, et que l'invincible nature ait repris son empire. SIMONE PÉTREMENT. ,
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