LA FRANC-MAÇONNERIE EN RUSSIE par -Alexandre Kérenski On ne sait à peu près rien de la franc-maçonnerie en Russie et de son rôle en notre siècle jusqu'à la révolution d'Octobre qui .a supprimé toutes les associations et sociétés de pensée autres que le parti communiste et ses filiales. C'est pourquoi notre revue a publié, dans ses n°s 5 et 6 de l'année 1963, l'article de Grégoire Aronson sur Les francs-maçons et la révolution russe qui, au moins, pose les questions auxquelles personne jusqu'à présent n'a pu répondre. Cet article était suivi de trois lettres adressées par Catherine Kouskoya, éminente personnalité francmaçonne de l'intelligentsia russe, à N. V. Volsk.i (notre collaborateur N. Valentinov) et Lydia Dan (sœur de J. Martov et épouse de Théodore Dan, idéologues et leaders du menchévisme). Ces lettres, si réservées soient-elles, projettent quelques lueurs disL A MANIÈRE dont Tolstoï parle du rôle et des activités des francs-maçons dans Guerre et Paix est fondamentalement exacte. Au XVIIIe siècle et au début du XIXe, cette organisation a joué un rôle primordial dans le progrès spirituel et politique de la Russie, en particulier après l'entrée dans les loges de N. I. Novikov et de beaucoup d'autres personnages politiques et hommes d'Etat éminents. Parmi les initiés, on comptait des croyants aussi bien que des libres penseurs. Au début, Catherine II toléra les loges. Voltairienne et esprit fort, la tsarine n'était pas embarrassée de « préjugés religieux ». Les initiatives des francs-maçons en matière d'éducation prirent la forme de projets tels que la création dïmprimeries et la diffusion des idées libérales. ·Il y a peu de vérité dans le tableau tristement déformé de la franc-maçonnerie tel qu'il a été généralement accepté, même par une partie éclairée de l'opinion publique russe, depuis le règne de Nicolas Ier. BïbJioteca Gino Bianco crètes sur l'ordre maçonnique russe. A présent le sujet est effleuré par Alexandre Kérenski dans son livre qui vient de paraître en anglais : Russia and History's Turning Point (New York, Duell, Sloan and Pearce, 1965) et dont il faut espérer qu'une traduction française paraisse à Paris. Pages trop brèves pour satisfaire la curiosité intellectuelle du lecteur intéressé, mais qu'il nous semble, si brèves soient-elles, nécessaire d'ajouter à l'article controversé de Grégoire Aronson. Rappelons que sur la franc-maçonnerie russe aux XVIIIe et XIXe sièéles, il existe un important ouvrage de Mme Tatiana Bakounine : Le Répertoire biographique des francs-maçons russes, avec une copieuse Introduction historique, fort substantielle et instructive (Bruxelles 1938, Editions Petropolis, in-8° de 655 pp.). Par la suite, Novikov fut persécuté car le futur tsar, Paul Ier, étant tombé sous l'influence des francs-maçons de son entourage immédiat, Catherine II avait des raisons de penser que les francs-maçons projetaient de faire du grandduc leur instrument. Cette persécution porta ·à la franc-maçonnerie russe un coup dont elle ne se releva jamais complètement. Après l'accession de Paul rir au trône, Novikov fut rappelé d'exil à la résidence impériale de Gatchina, où il ne tarda pas à se rendre compte que la politique du gendarme couronné n'avait rien de commun avec ses propres idées. · Le début du règne d'Alexandre Ier fut dominé par des hommes qui appartenaient à des loges maçonniques. Le souci principal de la « société » était d'unifier l'élite cultivée de la Russie afin d'abolir l'absolutisme et d'émanciper les serfs, idée caressée par le tsar Alexandre Ier lui-même, qui patronnait l'ordre maçonnique. Des hommes d'Etat marquants tels que le libéral Spéranski et le héros des guerres napo-
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