Le Contrat Social - anno IX - n. 6 - nov.-dic. 1965

A. KÉRENSKI léoniennes, le général Koutouzov, en étaient. Nombre de décembristes étaient également affiliés. Après l'insurrection décembriste, sous le règne réactionnaire de Nicolas I0 r, les loges furent mises hors la loi, mais elles devinrent probablement clandestines. Au commencement du xxe siècle, les sociétés maçonniques renaissantes contribuèrent à renforcer les liens entre les dirigeants éclairés des zemstvo et l'intelligentsia urbaine. De mon temps, les francsmaçons en Russie agissaient en secret, non seulement parce que jusqu'en 1905 toute activité sociale et politique devait être menée sous le manteau, mais aussi parce que l'opinion publique voyait d'un mauvais œil toute association qui unissait, en vue d'un objectif commun, des membres de pàrtis politiques différents. A l'origine, il n'était pas dans mes intentions de parler de la franc-maçonnerie russe. Mais certaines « révélations » parues ces dernières années dans. la presse russe et étrangère ont attribué la chute de la monarchie et la formation du Gouvernement provisoire à ractivité secrète des loges. J'ai le devoir de réfuter cette interprétation absurde des événements tragiques et grandioses qui ont conduit au grand tournant de l'histoire de la Russie. Donc, afin de rétablir la vérité historique, je m'arrêterai brièvement sur le sujet 1 • A mon départ de Russie, pendant l'été de 1918, on me recommanda de révéler l'essence de nos activités sans mentionner aucun nom afin que, si jamais une version dénaturée devait paraître dans la presse, les faits véritables puissent être connus. Le temps est maintenant venu de le faire, car Catherine Kouskova, francmaçonne de longue date et personnalité politique éminente, a cité mon nom dans des lettres confidentielles adressées à deux amis et a parlé à un autre dirigeant politique de mon appartenance à une loge 2 • Mon adhésion fut sollicitée en 1912, juste après mon élection à la quatrième Douma <l'Empire. Après mûre réflexion, j'arrivai à la conclusion que mes propres objectifs coïncidaient avec ceux de la société, et j'acceptai d'y entrer. Je dois préciser que notre société était en réalité une organisation maçonnique marginale. Tout d'abord, elle sortait de l'ordinaire en ce qu'elle avait rompu les liens avec toutes les t. En discutant de la composition politique, des actlvltn et des objectifs de la société maçonnique dont J'ai fait partie, Je dols souligner que Je suis lié par le serment solennel preü par mol Ion de mon admission de ne révéler le nom d'aucun des autres adhérent.. 2. Ces lettres ont été publiée• dans Grégoire Aron1on : Ro,1Ua nakanounfi r~voUoutaff (I..a Russie à ln vetlle de la nvolutlon), New York 1962. Biblioteca Gino Bianco 357 sociétés étrangères et qu'elle admettait les femmes. En outre, le rituel complexe et la hiérarchie maçonnique des degrés étaient abolis ; on n'avait maintenu que la discipline intérieure essentielle pour assurer les qualifications morales des membres et leur aptitude à garder le secret. On ne conservait aucun compte rendu ou liste des membres et cette pratique du secret explique l'absence de renseignements sur les buts et la structure de la société. En étudiant les circulaires du département de la Police à l'Institution Hoover, je n'ai trouvé aucune preuve de l'existence de notre société, même dans les deux circulaires qui me concernent directement 3 • La loge locale était l'unité fondamentale de la société. Outre les loges territoriales, le Conseil suprême était habilité à former des loges spéciales. C'est ainsi qu'il y eut une loge à la Douma, une autre pour les écrivains, etc. A sa naissance, chaque loge devenait une unité autonome. Les autres organes n'avaient aucun droit de se mêler des activités ou de Félection des membres. Aux convents annuels, les délégués des loges discutaient de leurs travaux et élisaient leurs mandataires au Conseil suprême. Aux convents, le Conseil suprême soumettait un rapport moral présenté par le secrétaire général, analysait la situation politique et proposait le programme pour l'année à venir. De graves différends opposaient parfois les membres d'un même parti sur des questions vitales telles que le problème des nationalités, la forme du gouvernement, la réforme agraire. Mais jamais nous ne laissâmes ces désaccords affecter notre solidarité. La politique non partisane eut des résultats remarquables, notamment le programme d'une future démocratie en Russie, qui plus tard fut mis en œuvre sur une large base par le Gouvernement provisoire. Il y a un mythe, tenu pour un fait par les détracteurs du Gouvernement provisoire, selon lequel un mystérieux triumvirat de francs-maçons imposa au gouvernement son programme, au mépris de l'opinion publique. En fait, la situation en Russie et les besoins de notre pays étaient discutés aux convents par des gens qui ne luttaient pas l'un contre l'autre pour imposer leurs propres programmes politiques, qui n'étaient guidés que par leur conscience dans la recherche de la meilleure solution. Nous prenions le pouls de 3. La circulaire 171 902 signée par Brune de SaintHyppollte, directeur du département de ln Police. est le seul document traitant de ln société maçonnique des Rose-Croix. que nous connaissions sous le nom d' • Orgnnlsntton BRrbnra Ovtchlnnikovo •, laquelle aboutit à ln formation d'une société sous les auspices du grand-duc Alexandre Mlkhnllovltch qui comprenait des gens de la cour et des membres de l'aristocratie.

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