Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

98 la personnalité de !'écrivain reste dissimulée : c'est déjà de la littérature impassible 21 • * )f )f CONSIDÉRONS maintenant les doctrines ; nous allons trouver entre Proudhon et Karl Marx des différences essentielles et dans la partie critique de leur œuvre, et dans les conclusions. . Ricardo,. l'un 4es maîtr~s de l'économie politique, _a dit un Jour, apres Adam Smith, mais avec plus de précision, que le travail était la source de toute valeur 22 • De cette affirmation est sorti le socialismemoderne ; en elle il a puisé sa critique de _la société, ses attaques contre l'intérêt du capital et de la rente de la terre ou fermage 23 • Si en effet la valeur du produit est créée exclusivement par le travail, pourquoi n'appartient-elle pas tout entière au travailleur? Cependant Proudhon et Karl Marx se séparent dès ce point de départ, car dans leur critique de la société chacun d'eux se sert de la théorie de Ricardo dans un Sfns ~pposé,, l'un la prenant pour la formule de 1averur et 1autre pour celle du présent. · Ce que Proudhon reproche à la société actuelle, ~e. so3:1tses antinomies, ses inégalités, donc ses lllJUstices, car la justice, pour lui, c'est l'égalité. Cette critique fait le fond de ses mémoires sur la propriété, dans lesquels, après avoir combattu successivement les différentes justifications de la propriété, il montre que le propriétaire, qui n'a pa~ fait l'instrument, s'en fait cependant payer le service 24 , de sorte que la propriété est la source de l'inég~lité qui existe entre le salaire et le produit ~u travail. Dans les Contradictions économiques, il expose les effets malfaisants des différents faits économiques tels que la division du travail, la concurrence, le capital et la propriété, qui sont cependant, dit-il, nécessaires et éternels, qui ont a~ssi leur raison d'être et leurs avantages. D'où viennent donc ces antinomies, ces inégalités? De ce que da~s la société actuelle la valeur, capri21. Les biographies de Marx sont rares ; on ne trouve en tête de son livre : Le Capitai, même dans la dernière édition -allemande, aucune indication sur sa vie. On peut cependant consulter les _co_urtesesquisses _tracées par M. de Laveleye dans Le Socialisme contemporain, p. 24; par M. Maurice ~Iock : « Les théoriciens du socialisme en Allemagne », in Journal des économistes, juillet 1872; par le Dictionnaire de Larousse ; et aussi un article de M. Paul Lafargue : « Karl Marx persônliche Erinnerung », dans une revue socialiste allemande, Die Neue Zeit, 1890, t. I, pp. 10 sqq., 37 sqq. Marx est mort âgé de 67 ans, en 1883, à Londres où il a passé la plus grande partie de sa vie. 22. Ricardo : Principes d'économie politique, notamment pp. 8, 14, 63. Il apporte du reste lui-même quelques restrictions à son principe. . 23. Ces deux expressions, rente et fermage, ont été rapprochées ici pour faciliter l'intelligence du texte à la lecture, mais on sait qu'elles sont loin d'être équivalentes. 24. « A qui est dû le fermage de la terre ? Au producteur de la terre sans doute. Qui a fait la terre ? Dieu. En ce cas, propriétaire, retire-toi » (Qu'est-ce que la Propriété?, pp. 737~. . . Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES cieuse comme la liberté, oscille arbitrairement au gré de l'opinion exprimée dans l'offre et la demande ; de ce que la valeur vraie, mesurée suivant le travail de production, n'est pas constituée. La synthèse dans laquelle doivent se résoudre ces antinomies, c'est la valeur constituée de telle sorte que les produits s'échangent entre eux dans la proportion de la quantité de travail qu'ils ont coûtée ; le salaire sera ainsi égal à la valeur du produit, et Je travailleur pourra racheter le produit avec son salaire. La valeur des marchandises déterminée et mesurée par le travail de production, tel est le but du progrès, le fondement de l'égalité et de la justice. ·.. C'est cette théorie que Marx attaque dans la Misère de la Philosophie. Pour lui, la détermination de la valeur par le travail, que Proudhon présente comme le but à atteindre dans l'avenir et comme la formule de l'émancipation future du prolétariat, existe dans notre société capitaliste actuelle, ~ et c'est justement par application de cette loi de la valeur énoncée par Ricardo que le travailleur est exploité 25 • 11en résulte en effet que la force de travail de l'ouvrier, en tant que marchandise elle-même, possède une valeur déterminée par le travail nécessaire à sa production, c'est-à-dire à la production de ses moyens de subsistance; en d'autres termes, le salaire se limite au coût de production du travailleur, à la somme qui lui est strictement nécessaire pour vivre et se propager. Mais dans le régime capitaliste l'ouvrier est toujours obligé de travailler plus de temps qu'il n'en faut pour reproduire la valeur de son salaire_; le surplu~ d~ valeur créé par ce travail appartient au capitaliste, c'est la plus-value, qui se distribue entre divers copartageants sous le nom de loyer, fermage, intérêt, profit ; mais quel que soit son nom, elle a toujours même nature, elle est toujours créée par le travail d'autrui non payé ; le capitaliste en profite gratuitement, et c'est là l'exploitation caractéristique du régime économique actuel 26 • Telle est cette théorie de la plus-value, développée dans le Capital de Marx ; e~e l_uiappartient en propre, et, quoi qu'on en ait dit, ne se trouve nulle part dans Proudhon. N'ayant pas à faire ici la critique du système, fondé sur une conception de la valeur tout à fait 25. Misère de la Philosophie, notamment pp. 20 et 25. 26. Le Capital, trad. Roy, revue et approuvée par l'auteur. V. notamment pp. 71-83; 91-94; 99-102; 230. Toute la thèse tient dans le syllogisme suivant : Le travail socialement (en moyenne) nécessaire à la production des marchandises est la substance et la mesure de leur valeur ; Or le travailleur salarié, qui crée la valeur entière du prod"!-1itn, 'est 'rémunéré, dans la société capitaliste, que sur le pied de la valeur de sa force de travail, déterminée, comme la valeur de toute autre marchandise, par le temps de travail socialement nécessaire à sa production ; Donc le capitaliste, qui profite gratuitement de la différence entre cette valeur (représentée par le salaire strictement nécessaire à l'ouvrier pour vivre et se propager) et la valeur du pr?duit (toujours supérieure à la précédente), exploite l'ouvrier.

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