Le Contrat Social - anno VIII - n. 3 - mag.-giu. 1964

166 spection politique. En fait, la faction de Staline et celle de Trotski souscrivaient toutes deux, en théorie, à l'objectif de la révolution mondiale et reconnaissaient toutes deux, en prati4ue, la nécessité d'une tactique défensive. La doctrine n'était pas la source des controverses entre elles mais une joute factice. Les trotskistes s'efforçaient de démontrer que le régime de Staline et de Boukharine était en train de perdre son ·caractère socialiste parce qu'il était, en fait, limité à un seul pays ; Staline ripostait en falsifiant la doctrine de Lénine, affirmant que l'isolement national du communisme ne compromettait nullement ses perspectives intérieures en Russie. L'importance de la question réside dans la manière dont Staline fut en mesure de transformer la doctrine : il en modifia le sens et imposa au mouvement communiste cette révision tortueuse comme si elle avait été de tout temps la vérité officielle. Dorénavant, la dictature soviétique ne sera plus jamais obligée de suivre une doctrine abstraite quand cela ne lui conviendra pas. Abstraction faite des timorés qui se réservaient en 1917, toute l'opposition contre Lénine et Staline à l'intérieur du Parti émana, jusqu'en 1928, des éléments utopistes et doctrinaires de gauche. En tant qu'anciens révolutionnaires inadaptés et idéalistes qui rejetaient avec véhémence les compromis visant à· maintenir le statu quo, ces protestataires ressemblaient aux dirigeants chinois d'aujourd'hui. Toutefois, ils différaient du parti de Mao en ce qu'ils ne disposaient pas d'un siège de pouvoir distinct d'où ils auraient pu braver les centralisateurs pragmatistes, et leur perspective doctrinale était également très différente. Les opposants du début - surtout les trotskistes - œuvraient sincèrement dans l'attente d'une révolution prolétarienne mondiale et de la constitution d'un Etat ouvrier au sens marxiste du terme. La Chine communiste, elle, s'est complètement écartée de toute structure marxiste bien définie d'évolution sociale et de règne de la classe ouvrière, en faveur d'un régime bureaucratique ultra-stalinien qui s'impose de force aux ouvriers, aux paysans, à tout le monde. La révolution stalinienne L'ANALOGIeEst plus grande entre la pensée sino-communiste et la politique inaugurée par Staline en 1928. Pour des raisons essentiellement politiques, Staline rompit avec Boukharine et lança un programme de collectivisation forcée auquel les partisans de Boukharine ne pouvaient souscrire. Ils étaient convaincus que ce serait un désastre et un abandon inacceptable des objectifs de la révolution. « Exploitation militaire-féodale des paysans», c'est ainsi que Boukharine et Rykov qualifièrent le programme de collectivisation qui prit forme en 1929. Cette réaction rappelle beaucoup l'attitude adoptée en 1958 par les dirigeants soviétiques à l'égard des .communes populaires chinoises. Biblioteca Gino Bianco ' L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE La « révolution stalinienne », qui s'étendit de 1928 jusqu'au milieu des années 30, constitue, à certains égards, un changement profond dans le système communiste. Ce fut une révision fondamentale des buts du mouvement qui, d'un régime de socialisme de la classe ouvrière dans un . pays industrialisé, passa à un régime de socialisme bureaucratique dans un pays en voie de développement. En deuxième lieu, en supprimant toute dissension à l'intérieur du Parti et en imposant un contrôle rigoureux du Parti sur tous les aspects non politiques de l'existence, la révolution stalinienne affermit le totalitarisme en U.R.S.S. (De ce point de vue, la Chine et !'U.R.S.S. sont toutes deux encore profondément totalitaires.) En troisième lieu, la révolution stalinienne constitua une transition du pragmatisme léniniste à un fanatisme apologétique qui aboutit à la grande épuration. La Chine fait montre, depuis 1958, d'un. fanatisme sensiblement analogue, alors que la Russie de Khrouchtchev est revenue à la dictature plus pragmatique de Lénine et de Boukharine. Il n'est toujours pas rendu justice à ce dernier, alors que sa réhabilitation semblerait maintenant logique. Les deux pays communistes qui ont montré le plus d'aversion pour la politique de Pékin - la Yougoslavie et la Pologne - ont précisément des régimes économiques du type boukharinien et dépendent plus que l'Union soviétique des mécanismes du marché et de l'initiative individuelle du paysan. La victoire de Staline à la fin des années 20 fut la victoire d'une organisation monolithique de type militaire qu'il avai~ montée grâce à sa position de secrétaire général du Parti. La disgrâce effective des trotskistes en I 927 et des boukhariniens en 1929 était un dénouement normal faisant suite à la consolidation du pouvoir effectuée sans bruit par Staline et, dans le cas des boukhariniens, à la défaite subie en coulisse par l'opposition en 1928. Un autre point de repère dans la question de la controverse sino-soviétique est la tendance du mouvement communiste à dissimuler ses luttes pour le pouvoir sous le couvert de l'identité idéologique jusqu'au moment où la tension a atteint le point où l'un des deux camps est prêt à rompre publiquement sur le plan doctrinal. Dans le cas de Staline, il en est résulté une victoire totale pour sa cause personnelle. Elle eut pour effet de placer la société soviétique tout entière et le mouvement communiste international dans le même moule monolithique. La grande éptµ"ationécarta la possibilité d'une opposition future en Russie - il n'y avait déjà plus aucune opposition effective - et le souvenir même de l'opposition fut effacé ou mutilé par la propagande stalinienne. . · Lancement du mouvement mondial EN MaME TEMPS qu'il consolidait son pouvoir dictatorial en Russie, Staline éliminait du Comin-

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