Le Contrat Social - anno VIII - n. 3 - mag.-giu. 1964

R. V. DANIELS tern tous les éléments trop indépendants. Sa tactique consistait à intervenir dans les conflits entre les factions des partis communistes - en particulier en Allemagne, - à accorder des avantages politiques et financiers aux candidats les plus soumis, en vue de leur faire confier des postes de direction à l'échelon local. Il collabora avec Zinoviev afin d'évincer, en 1923 et en 1924, les dirigeants modérés du P. C. allemand pour les remplacer par des centristes plus accommodants; en 1928, il délogea les boukhariniens, sous prétexte qu'ils représentaient une « déviation de droite ». En 1927, le Comintern tout entier était secoué par la controverse StalineTrotski, et les partisans de Trotski commencèrent à quitter le mouvement, ou à en être chassés. Cela préparait les partis communistes à une épuration également radicale des groupes boukhariniens en 1928 et en 1929, après le 6e Congrès du Comintern et l'adoption de la ligne extrémiste de la « troisième période ». A partir de 1930, il n'existait guère de parti communiste d'où les anciens dirigeants n'aient été expulsés sous la pression soviétique. Grâce en partie à la présence stimulante de leur chef en exil, les partisans de Trotski à l'étranger ripostèrent en organisant leur propre mouvement. On ·créa des partis trotskistes dotés d'un programme d'un internationalisme révolutionnaire intransigeant qui condamnait le stali1ùsmecomme une trahison bureaucratique de la cause des travailleurs. En 1934, les trotskistes annoncèrent la formation de la IVe Internationale, et le mouvement existe encore sous cette bannière en tant que tendance fractionniste dans de nombreux pays. La raison primordiale qui a empêché le trotskisme d'obtenir les résultats enregistrés par le titisme depuis 1948 est qu'aucun gouvernement n'a jamais été aux mains de la IVe Internationale. C'est en cela que la tendance extrémiste sous influence chinoise à l'intérieur du mouvement communiste se différencie nettement aujourd'hui du mouvement trotskiste. D'autre part, à en juger par l'expérience trotskiste, les dirigeants chinois sont en mesure, s'ils le désirent, de créer une nouvelle et très vaste Internationale en provoquant des scissions dans les partis communistes du monde entier et en groupant les factions prochinoises sous leur propre égide dans un mouvement révolutionnaire monolithique. C'est là précisément ce que firent les Russes en 1919 à l'intérieur de l'Internationale socialiste. L'affermissement du monolithe stalinien à !;intérieur de !'U.R.S.S., au cours des épurations des années 30, ne suffit pas à écarter la possibilité de dissensions ultérieures dans le mouvement communiste international. Lorsque l'issue de la deuxième guerre mondiale offrit au mouvement la possibilité de saisir le pouvoir ou d'accroître sa puissance dans des pays autres que !'U.R.S.S., des mouvements déviationnistes du type romantique et du type pragmatique apparurent. Au cours des derniers mois de la guerre, ce furent Biblioteca Gino Bianco 167 à nouveau les romantiques insurrectionnels - les guérilleros de l'Europe du Sud-Est et les mou- , vements de résistance de l'Occident - qui causèrent à Moscou le plus de souci en raison de . · leur ardeur prématurée à vouloir s'emparer du pouvoir sans tenir compte des apparences d'unité interalliée auxquelles Staline semblait encore tenir. D'autre part, devant l'occupation soviétique de l'Europe orientale et la stalinisation à outrance imposée par Moscou aux gouvernements satellites, l'opposition locale adopta la circonspection et le pragmatisme de droite illustrés par Gomulka. Les deux aspects de la dissension communiste, qu'elle soit inspirée par un purisme doctrinal ou par un opportunisme local, posaient inéluctablement la question de l'autonomie « communiste nationale » ou de la soumission totale à Moscou. Le défi lancé par Tito au Kremlin fut la seule action de cette nature couronnée de succès pendant l'époque de Staline, en partie en raison de la situation géographique et des péripéties de la guerre en Yougoslavie, en partie parce que Tito fut le premier à tenter ouvertement l'aventure. L'indépendance du centre de pouvoir national a été l'objectif constant de la politique yougoslave, laquelle subit un renversement radical dç position doctrinale, passant du fanatisme ultrastalinien de 1945-1948 à l'idéalisme de Djilas (qui créa les conseils ouvriers) de 1949-1950, pour aboutir au socialisme de marché d'aujourd'hui. Les émules de Tito en Europe orientale venaient des deux extrémités du spectre doctrinal, mais, qu'il s'agît du fanatisme doctrinaire d'un Rajk ou du gradualisme d'un Gomulka, il en résulta un mouvement de résistance nationale à l'influence soviétique que Staline était décidé à écraser par tous les moyens. On peut constater une situation analogue à l'intérieur des principaux partis communistes de l'Occident où, lors de chaque décision politique, Moscou s'est assuré de la loyauté inébranlable d'une certaine faction. Dans de nombreux cas, des épurations - telles que l'expulsion d'Earl Browder du P. C. américain en raison de sa mollesseenvers le capitalisme en 1945 - devinrent un moyen indispensable pour prendre des tournants tactiques. Un exemple frappant, du côté des romantiques, a été l'expulsion, en 1952, d'André Marty et de C4arles Tillon de la direction du P. C. français parce qu'ils étaient incapables de passer de la doctrine révolutionnaire internationaliste à une attitude nationaliste envers l'influence des Etats-Unis. En pareil cas, l'internationaliste le plus ardent du mouvement peut se trouver, malgré lui, dans la situation d'un résistant national contre Moscou*. Le cas le plus systématique de résistance nationale opposée à Moscou - s'inspirant de vues parfois pragmatiques, parfois utopiques - est celui du communisme chinois. Dès 1930, la • Cf. Marshall Shulman : Stalin's Foreign Policy Reappraised, Cambridge (Mass.), 1963, pp. 233-37.

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