" L'Expérience communiste LE CITOYEN SOVIÉrfIQUE ET LA QUESTION CHINOISE par Victor S. Frank UN ÉVÉNEMENT HISTORIQUE aussi important que l'apparition de la Chine dans le rôle de rival principal de !'U.R.S.S. pour la direction du mouvement communiste international, et de menace potentielle pour son intégrité territoriale, est fait pour créer de fortes controverses en Union soviétique ; du moins le suppose-t-on. Des controverses de cette nature présupposent néanmoins l'existence d'une opinion publique libre de s'exprimer; d'une presse à laquelle il soit permis de donner forme à différentes conceptions de la politique ; de partis et de coteries qui cherchent à s'attacher de nouveaux partisans ; de discussions ouvertes ; et d'une opposition proposant des politiques autres que celles du gouvernement. Il n'y a, bien sûr, rien de tout cela dans la société soviétique d'aujourd'hui, pour autant qu'elle puisse différer de ce qu'elle était il y a dix ans. On ne saurait douter que d'âpres discussions ne se déroulent derrière les portes closes de la salle où siège le présidium du Comité central ; qu'il n'y ait nombre de commérages et de cancans de buvette parmi les milliers d'agents exécutifs de haut et de moyen échelon; que des questions embarrassantes ne soient posées lors des réunions locales du Parti, et que des débats passionnés n'aient lieu entre étudiants dans les parcs et les foyers des universités. Mais ces modes de communication n'influencent pas l'opinion publique, car les vues exprimées ne sont pas et ne peuvent pas êtr.e exposées au grand jour. Le caractère confidentiel ou clandestin de ces conversations les empêche de se répandre au-delà de leur source, d'être mentionnées par un tiers, de jouer un rôle de catalyseur. L'opinion du public soviétique est très en retard sur celle de l'Occident, beaucoup mieux informée qu'elle des nouvelles soviétiques. Au cours de ces deux dernières années, les stations de radio occidentales ·qui émettent à l'intention du peuple soviétique ont .reçu. de leurs Biblioteca Gino. Bianco auditeurs des lettres de ce genre: «Nous ne vous avons pas crus lorsque vous avez commencé à parler de la scission entre le P. C. soviétique et le P. C. chinois. Notre propre presse en fait à présent l'aveu ... » La chose est simple : il n'y a pas d'opinion publique tant que l'opinion n'est pas rendue publique. Tous les efforts pour découvrir ce que le peuple de !'U.R.S.S. pense et quel est son sentiment relativement à la grande question politique du moment seraient-ils donc vains? Non pas. On peut glaner beaucoup à ce sujet, si l'on s'en tient à trois règles. Tout d'abord, et puisqu'il ne peut être question d'opinion publique à proprement parler, il faut se contenter de l'opinion privée. En deuxième lieu, il faut se garder de généraliser : bien qu'il n'y ait aucune controverse publique, les individus diffèrent dans leurs opinions en Union soviétique, comme partout ailleurs, selon l'âge, la nationalité, le niveau social, l'affiliation politique, etc. Troisièmement, il est évident que, dans ces conditions, il ne faut pas s'attendre à des arguments raisonnables et cohérents, mais se contenter de choses moins tangibles : disposition d'esprit, attitudes, instincts. Il importe de noter dès le départ les deux motivations essentielles des citoyens soviétiques de quelque type que ce soit : le désir ardent d'une vie plus facile et la crainte de la guerre. Tous les événements politiques sont évalués suivant deux. critères par l'immense majorité des citoyens soviétiques : cela rend-il la vie plus facile ou au contraire plus difficile? l'éventualité d'une guerre en devient-elle plus ou moins pro- .hable? Rien, dans ces motivations, qui soit spécialement« russe» ou« soviétique », sinon qu'elles sont ici plus pressantes et exclusives qu'en Occident ou dans des pays qui n'ont pas été affectés par la dernière guerre. La vie est encore aujourd'hui bi~n plus dure en U.R.S.S. que dans l'Occident industrialisé, et le souvenir de la guerre y
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