K. PAPAIOANNOU vertus qui ne cesseront jamais »... Le vue siècle vit le triomphe du monachisme : les dernières traces de la culture antique disparurent et le style monastique imprima sa marque sur l'art, l'enseignement, la culture tout entière. Au VIIIe siècle, les héritiers des stylites et des anachorètes du désert formaient un Etat dans l'Etat : les ascètes émaciés étaient devenus les plus grands propriétaires fonciers... Evolution qui rappelle étonnamment ce qui se passait dans les couvents occidentaux et allait se répéter dans les couvents russes. Avec le relâ-- chement de leur première discipline, les couvents se transformaient en grosses entreprises agricoles et financières. Les dons très importants de terres souvent imposés à d'honorables abbés contre leur volonté, les immunités de justice. et d'impôts augmentaient la richesse des cloîtres qui étaient de plus en plus poussés à accroître leurs biens et à attirer les paysans sur leurs terres. Leurs énormes revenus, qui échappaient à l'impôt, diminuaient les ressources de l'Etat ; leurs domaines immunisés soustrayaient des soldats à l'armée, des fonctionnaires à l'administration ; leur soif de terres menaçait la petite propriété paysanne, fondement de l'empire. Pour parer à ce danger - économique, politique et social - les ·empereurs iconoclastes au VIII-IXe siècle menèrent une lutte acharnée contre les moines, s'efforçant de les disperser, de séculariser leurs biens. Ils échouèrent, de même qu'échouèrent les tentatives analogues des empereurs macédoniens à la gran~e époque de Byzance. Détail symbolique : Nicéphore Phocas, l'auteur de la loi antimonastique de 964, voulait lui-même se faire moine au mont Athos... Si Marx reste foncièrement insensible à cette tragique « aliénation » qui fit des serviteurs de Dieu les maîtres de la société, il montre une certaine compréhension à l'égard de l' « aliénation » que signifie l'Etat. Le pouvoir politique DANSL'ÉNONCÉgénéral du marxisme, l'Etat apparaît comme un simple instrument de la classe dominante: L'Etat, écrit Engels, est en règle générale l'Etat de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter 1a· classe opprimée 8 • Dans cette perspective (que· Lénine a encore schématisée dans L'Etat et la Révolution), les rapports politiques de domination et de subordination dérivent des rapports économiques de production et d'exploitation : le pouvoir politique n'est qu'une « superstructure » du pouvoir économique. En revanche, d'autres textes de Marx 8. L'Origine de la famille ..., éd. Costes, p. 226. Biblioteca Gino Bianco 151 et surtout d'Engels invitent à établir une nette distinction entre les deux ordres. Dans cette version plus nuancée de la sociologie marxiste, l'Etat n'apparaît plus comme une simple excroissance de la classe dominante et sa genèse est attribuée à une dialectique plus vaste que celle qui préside t~nt à la formation des classes qu'à leur antagorusme. Tout d'abord, l'Etat se produit indépendamment des classes, avant même la scission de la société en classes antagoniques. Dans les sociétés primitives, écrit Engels, il règne une certaine égalité des conditions d'existence et cette absence de classes se perpétue dans les communautés agraires des peuples civilisés ultérieurs. Or, dans chacune de ces communautés (« sans classes ») existent, dès le début, certains intérêts communs dont la garde doit être confiée à des individus particuliers, quoique sous le contrôle de la collectivité : jugements de litiges, répression (...), surveillance des eaux, fonctions religieuses (...). Il va sans dire que ces individus sont armés d'une certaine plénitude de puissance et représentent les prémisses du pouvoir d'Etat 9 • 1 Ainsi donc, les prémisses du pouvoir politique se constituent en dehors des déterminismes technico-économiques qui aboutirent à la monopolisation de la « direction générale du travail » par une classe particulière. Avant même qu'un groupe minoritaire s'approprie les fonctions de gestion et les moyens de production, la société tout entière (et non plus seulement la collectivité productive) est obligée par la force des choses de renoncer à la gestion des affaires communes pour la confier à un groupe particulier. Ici, le facteur décisif n'est pas l'appropriation des moyens de production, mais l'atrophie du « contrôle collectif », conséquence fatale de la complication croissante de la vie sociale (et pas seulement économique): Peu à peu, les forces productives augmentent ; la population plus dense crée des intérêts ici communs, là antagoniques, entre les diverses communautés dont le groupement en ensembles plus importants provoque derechef une nouvelle division du travail et la création d'organes destinés à faire valoir les intérêts communs et à les défendre contre les intérêts antagoniques. En tant que représentants des intérêts communs de tout le groupe, ces organes ont déjà vis-à-vis de chaque communauté prise à part une position particulière et peuvent parfois entrer en conflit avec elle. Ils prendront bientôt une autonomie plus grande encore soit du fait de l'hérédité de la charge, qui s'instaure presque automatiquement dans un monde où tout se passe selon la nature, soit qu'à mesure qu'augmentent les conflits avec les autres groupes, la société se trouve de· plus en plus incapable de s'en passer. Ce n'est donc pas la classe « économiquement dominante » qui crée l'Etat. « Issu de la société », l'Etat devient une puissance indépendante par sa logique propre : les « représentants des intérêts communs » s'élèvent au-dessus de la communauté 9. Anti-Dühring, pp. 218-19 (Ed. sociales, p. 211).
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