MARX ET LA THÉORIE DES CLASSES par Kostas ·Papaioannou Tous LES POUVOIRS jusqu'ici connus même les plus despotiques - ont été limités. par d'autres pouvoirs. De tout temps, des hommes sont arrivés à la prépondérance par leur puissance politique, par leur domination dans l'économie ou par l'ascendant exercé sur la vie spirituelle des autres. Mais le pouvoir - politique, économique ou « idéologique » - qu'ils ont détenu était toujours une parcelle de pouvoir. On pouvait l'élargir, et effectivement chaque fois qu'il y a eu histoire, donc rupture d'équilibre et constitution de nouveaux centres de décision et d'action, il n'y a eu que des pouvoirs qui ont voulu s'accroître, se défendre ou se dompter mutuellement. Mais le double mouvement de concentration et de centralisation qui accompagne toute transition vers des formes supérieures d'organisation de la vie étatique, économique ou religieuse des hommes, s'effectuait .toujours à l'intérieur de certaines limites qui, en dernière analyse, paraissent infranchissables. Pouvoir parcellaire, pouvoir totalitaire II CE QUI SEMBLAIT constituer un obstacle insurmontable à la concentration totale des pouvoirs était la diversité irréductible, ou prétendue telle, des formes de la vie humaine et la pluralité des ordres économique, politique, « idéologique » qui en résulte. Certes, la distinction entre les trois ordres est purement méthodologique et n'implique nullement une stricte séparation dans la réalité : une concentration considérable des pouvoirs a pu être réalisée à certaines époques historiques au profit d'un seul groupe « monopolisateur », tel le patriciat gentilice gréco-romain ou le patriciat bourgeois dans les républiques urbaines de type vénitien. Aussi bien, la concentration absolue du pouvoir total a-t-elle été la tendance fondamentale des théocraties bureaucratiques de l'Orient. Pourtant, les. Eupatrides gréco-romains vivaient en symbiose plus ou moins pacifique avec des groupements autonomes installés à l'extéBiblioteca Gino Bianco. rieur du système gentilice; le Conseil des Dix n'a jamais prétendu à la direction de la vie spirituelle de la société vénitienne. De même, si certains régimes bureaucratiques de type pharaonique ont pu étatiser intégralement l'économie et annexer la totalité de la richesse, le pouvoir religieux est toujours resté en dehors de leur emprise. A cette limitation du pouvoir sur le plan horizontal s'ajoute celle que l'on observe également sur le plan vertical, celle qui résulte du fractionnement toujours possible du pouvoir à l'intérieur de sa propre sphère : les difficultés universellement constatées auxquelles se sont heurtées les tentatives d'unifier « par en haut », donc de centraliser et de hiérarchiser la classe dominante, ont toujours facilité la constitution de zones d'indépendance permettant aux individus et aux groupes de s'affirmer dans quelque liberté, aussi relative fût-elle. Le féodal qui, du haut de son château fort, défie son suzerain ou fonde le lien de vassalité sur la reconnaissancemutuelle, illustre ce fractionnement possible du pouvoir de classe avec au moins autant de vigueur que le marchand antique ou l'entrepreneur de la phase « atomistique » du capitalismemoderne. Seules les bureaucraties encadrent leurs membres individuels dans un réseau hiérarchique préétabli : un fonctionnaire indépendant est un contresens possible seulement pendant les phases de désintégration èt de dégénérescence féodale de. l'appareil bureaùcratique. . Concentration limitée des pouvoirs, centralisation limitée du pouvoir : à ces deux formes de limitation du pouvoir par le pouvoir, il faut ajouter celle .qui résulte de la capacité de résistance des ·gouvernés, qui ne peut jamais être réduite à zéro .: les divers « contre-pouvoirs >) institués et contrôlés par les gouvernés confèrent à ces derniers la possibilité de s'arracher à l'emprise des gouvernants, de leur opposer une résistance efficace, voire de se donner un pouvoir indépendant. C'est cet équilibre perpétuellement remis en question entre pouvoirs réels et pouvoirs virtuels qui
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