144 de la politique militaire et diplomatique de l'Allemagne à Brest-Litovsk. De ces jugements de Weber sur les événements de Russie de 1905 à 1918, il ressort à l'évidence que ses pronostics n'avaient rien de particulièrement remarquables. Ils reflètent d un bout à l'autre l'incapacité d'un Allemand ennemi académique du socialisme, si doué et pénétrant sociologue qu'il fût, à saisir le sens d'événements que seuls comprenaient clairement quelques-uns des pl~s capables parmi les théoriciens révolutionnaues. CEPENDANT, en lisant la conférence de 1918, on est frappé par le ton sobre et objectif de l'exposé sur le socialisme fait par Weber pou_rl'insf!uction d'officiers qui pourraient bientôt avoir affaire à des soulèvements ouvriers. En tant que nationaliste allemand, il ne pouvait que s'opposer à un mouvement ouvertement internationaliste qui menaçait de provoquer un effondre_ment catastrophique de son pays. Mais il était en même temps attiré par l'idéalisme et le caractère intellectuel du mouvement socialiste. Dans la même causerie, il dit du Manifeste communiste _que c'était là ~e réussite scientifique de premier ordre et qu aucun savant ne pouvait honnêtem~nt le contester. Marx était un exemple de la f1;1sio~heure~~e de l'étude scientifique et de la direction politique, de la recherche objective_e! de l'esp~t prophétique, ce à quoi Weber asprrait en vain. Ayant envisagé un moment d'entrer dans le mouvement social-démocrate, où il aurait pu jouer un rôle, il estima cependant qu~ c'~ût été diffi~ilement compatible avec ses obligations bourgeoises et sa situation de fortune (qui lui permettait d'écrire ses livres). En général, on peut dire que son attitude envers, la g~u~he fut ambiguë et opportuniste, au gre des evenements, de même que ce nationaliste convaincu se dissocia souvent de la bourgeoisie même lorsqu'il préconisait une politique carré~:nt bourgeoise.. D'une part, il méprisait la politique parlementaire des sociaux-démocrates 9u'il. dépeignait comme des petits bourgeois impwssants et bureaucrates - spectacle ridicule à côté des véritables révolutionnaires qu'avaient été les Russes en 1905. D'autre part, en combattant ces révolutionnaires et leurs camarades allemands spartakistes, il adoptait la critique révisionniste qui soutenait les sociaux-démocrates médiocres et philistins ; plus d'une fois il invoqua leur position, réclamant leur appui contre la rév?l~tio~ bolchévique et les programmes de socialisation en Allemagne, les dénonçant comme no~ ~arxistes et contraires aux principes des socialistes « loyaux » et « honnêtes ». Il soutenait entre autres que le marché était en train de se régulariser, que les crises devenaient progressivement I1_10in~s,aves$ contrairement à ce que Marx avait predit, par conséquent qu'il n'y avait Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL nul besoin de créer des conditions catastrophiques favorables à un bouleversement socialiste. Lorsque la révolution de novembre 1918 balaya le Kaiser et menaça un moment de répéter les événements de Russie, Weber s'en pnt au parti de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht en qui il voyait des parasites qui veulent vivre non pas pour la R~volution, mais de la Révolution, des oisifs sans emploi qui se repaissent de la société et font le métier d'espions et de mouchards. Car tel est uniquement l'essence du bolchévisme en Russie comme celle des mouvements apparentés en Allemagne, si honnêtes que puissent être les littérateurs et les idéalistes qui sont à leur tête. Les projets de socialisation, qui étaient dans l'air à la fin de l'année 1918, Weber les rejetait comme utopiques ; une Allemagne prolétarienne et révolutionnaire n'obtiendrait pas de l'Amérique les crédits nécessaires, pas plus qu'un syndicat ou des fonc~ionnaires du parti ne pourraient assumer avec succès les fonctions administratives des grands capitalistes, des chefs de la grosse industrie : [Ce n'est qu'en utilisant ces derniers que] le progrès vers la socialisation est possible aujourd'hui. Tout socialiste instruit sait cela : s'il le nie, ce n'est qu'un escroc. Le ressentiment et les instincts de caste des littérateurs académiques envers des hommes qui ne sont pas leurs disciples et qui n'en gagnent pas moins de l'argent et exercent le pouvoir seraient les pires conseillers possibles pour les ouvriers économiquement progressistes (Gesammelte Politische Schriften, pp. 341 sqq.). CES JUGEMENTS de Weber n'ont pas été réunis ici en vue de le caractériser comme sociologue. Ses recherches en matière de religion, de droit et d'histoire sociale et économique constituent un immense travail de la plus grande valeur qui ne peut être jugé à la lumière de ses idées politiques d~s la pratique, bien qu'elles aient pu être influencées par son point de vue particulier. Mais il est nécessaire d'examiner ces idées alors que les admirateurs de Weber tentent d'en faire un grand prophète de notre temps et de le placer sur le même plan que Marx et Trotski, hommes d'une importance historique tout à fait différente et beaucoup plus considérable. En général, ceux qui écrivent sur Weber - et ils sont légion - ne tiennent pas compte de ses jugements politiques concrets. Certes, ces opinions n'ont guère eu d'influence en leur temps, mais elles ne devraient être ignorées ni par quiconque souhaite comprendre l'enseignement de Weber dans son ensemble, ni par qui s'intéresse aux rapports problématiques de la science sociale et de l'action ·sociale, ainsi qu'à la part d'attitudes de classe dans les deux cas. Si Weber intéresse si fort aujourd'hui •des sociologues qui n'ont pas eu la connaissance
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