Débats et recherches KARL RENNER ET LA SOCIALISATION par Lucien Laurat VOILA cinq ou six ans, d'âpres controverses, aujourd'hui assoupies, agitèrent les milieux dirigeants du Labour Party. Il s'agissait d'une véritable levée de boucliers contre Hugh Gaitskell, à qui la « gauche » reprochait de s'opposer à de nouvelles nationalisations et d'abandonner ainsi le but socialiste. Ces controverses eurent un écho assourdi dans plusieurs partis socialistes du continent. Aujourd'hui, un scepticisme certain se manifeste partout, chez de nombreux socialistes, à l'égard des nationalisations. A ceux qui avaient toujours été réticents sont venus se joindre d'anciens enthousiastes, parmi lesquels beaucoup demeurent persuadés que les nationalisations effectuées voilà une quinzaine d'années étaient une bonne chose, mais qui estiment néfaste d'étendre l'opération à de nouveaux secteurs. En soutenant sa thèse, Gaitskell ne s'embarrasse pas de considérations théoriques : il observe les faits et tire des conclusions. L'expérience des quinze dernières années démontre à ses yeux qu'il est « possible de maintenir le plein emploi dans une économie mixte sans qu'il soit nécessaire d'élargir le secteur nationalisé». La nationalisation permet, certes, de créer un meilleur climat pour le développement d'une démocratie industrielle, « mais il n'est pas dit que celle-ci ne puisse se développer notablement aussi dans le secteur privé (...) ; cela est possible ». De nouvelles nationalisations sont-elles nécessaires pour obtenir une plus grande égalité sociale et économique ? S'il y a aujourd'hui, en Angleterre, « plus de justice sociale, ce n'est pas tant par suite des nationalisations que grâce au développement des services sociaux, à l'imposition plus lourde des revenus élevés, à la plus forte participation des salariés au revenu national, à la puissance des syndicats ». En conclusion de sa brochure 1 , Gaitskell écrit: 1. Hugh Gaitskell : Socialism and Nationalisation (1956). Ne disposant pas de l'original anglais, nous citons d'après l'~tion italienne (~d. Operc Nuove, Rome, pp. 72-74 tt 84). Biblioteca Gino Bianco Et je suis convaincu que dans la période à venir, la propriété publique, réalisée par une combinaison avec la politique fiscale - et non point la nationalisation telle qu'elle a été conçue au cours des vingt dernières années - pourra devenir un instrument fondamental de la politique socialiste (souligné par nous). Pour saisir le sens de ce paragraphe, il faut connaître la distinction établie par Gaitskell entre « propriété publique » et cc nationalisation ». Ce dernier terme s'entend, selon lui, pour telle ou telle industrie devenue propriété de l'Etat par les procédés employés dans la période d'après guerre, tandis que la « propriété publique » peut s'étendre graduellement « sans que l'Etat exerce nécessairement un contrôle détaillé sur les différentes entreprises ou sur tout un secteur». Il suffira de recourir à l'impôt sur les successions ou à un impôt sur le capital, acquittés sous forme d'actions, de biens immobiliers, etc. La collectivité deviendra ainsi copropriétaire, jouissant des revenus découlant de cette copropriété, sans que l'Etat ait à intervenir dans la gestion. C'est, en un mot, une évolution vers des « entreprises mixtes». - On trouvera peut-être que la thèse de Gaitskell manque de précision à bien des égards. Mais il ne faut pas oublier que sa qualité de chef de parti l'oblige à s'exprimer avec prudence pour réduire le nombre des contradicteurs et rallier les hésitants. Il ne lui suffit pas d'avoir théoriquement raison ; il lui faut aussi une majorité pour que ses vues déterminent la politique de son parti. Il EST en tout cas étonnant que la thèse de Gaitskell se soit heurtée à une opposition aussi acharnée et lui ait att;ré le reproche d'abandonner, voire de trahir la quintessence des objectifs socialistes. Car aucun programme socialiste n'a jamais préconisé une socialisation allant jusqu'à la collectivisation intégrale de tous les secteurs, même les plus secondaires, de l'économie, ni indiqué la nationalisation, c'est-à-dire le transfert à l'Etat, commelle seul moyen de réaliser le socialisme, ni recommandé la gestion
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