B. SOUV ARINE d;ins leur sac « idéologique », et ces formules ne s'appliquent à rien d'actuel, même pour l'Institut du marxisme-léninisme. Si basse que soit l'idée qu'on ait de l'intellect d'un Mao, on ne saurait supposer qu'il croie un instant à ses élucubrations. Tous les sujets de querelle entre communistes se subordonnent au principal ou en dérivent et tout contribue à démontrer que le principal est inavouable chez les « marxistes-léninistes » de nuances diverses, à savoir une mixture où entrent les rivalités personnelles, les antipathies nationales, les volontés de puissance non conformes aux canons de la doctrine. Sans épuiser le sujet, l'article de Richard Walker sur Le culte de Mao, publié dans cette revue (septembre 1960), est convaincant à cet égard, même si l'auteur ne l'entend pas ainsi, et d'autres données probantes le corroborent. Mao n'oserait pas afficher son antériorité ni sa supériorité sur les successeurs de Staline ; il ne peut non plus leur reprocher publiquement de lui refuser les moyens d'attaquer les îles du Pacifique que protège le « tigre de papier » américain ; il ne saurait enfin se plaindre ouvertement d'une aide matérielle soviétique insuffisante ou trop onéreuse sans avouer l'incapacité de la Chine de progresser en puisant dans son propre fonds. Il n'a d'autre ressource qu'une opposition sourde, mais pas tout à fait muette, à l'hégémonie soviétique dont il avait pourtant proclamé le bien-fondé, opposition camouflée en conflit idéologique pour la galerie médusée ou ricanante. Or, si les mots ont un sens, l'idéologie brille ici par son absence. Certes, ·une dispute de préséance et des questions d'intérêts économiques peuvent se révéler grosses de conséquences éventuelles, mais sans primer la réalité idéologique. A quoi engage une idéologie commune, on l'a vu quand un Trotski honni et banni a pris parti pour Staline· dans l'agression contre la Finlande. Si une troisième guerre mondiale était probable ou possible, il n'y aurait point de chicanes soviéto-chinoises ; ce sont au contraire les perspectives de paix qui les autorisent. Même si la mégalomanie de Mao conduisait à une rupture épisodique entre « partis frères», la solidarité des Etats n'en subsisterait pas moins, sous l'empire de l'idéologie qui unifie leur conception du développement historique, sans parler de la parenté des régimes politicoinstitutionnels. A court terme comme à plus long terme dans l'avenir prévisible, la décision de provoquer un suicide collectif appartien~ exclusivement à Moscou, non à Pékin, et les bravades chinoises sont autant de pantomimes stériles qui devraient discréditer les acteurs, au moins dans le monde un peu libre. En Chine, ces bravades sont nécessaires au pouvoir qui a besoin de dénoncer constamment un ennemi imaginaire et d'entretenir une alarme permanente pour justifier l'état de siège et l'exploitation inhumaine du travail humain qui caractérisent le système communiste. Mais la phraséologie est une chose et l'idéologie Biblioteca Gino Bianco 71 en est une autre, encore que les déclarations solennelles adoptées à l'unanimité en 1957 et 1960 par tous les partis communistes réunis à Moscou les identifient dans les grandes circonstances. Tous les signes de discorde notés dans l'intervalle de ces conférences œcuméniques décèlent l'insincérité des participants dans les simulacres d'unité monolithique, mais aussi leur incapacité de rompre jusqu'à présent la solidarité idéologique. L'aventure bouffonne des Albanais entrés en lutte ouverte contre Khrouchtchev sous les incitations chinoises illustre bien les « contradictions » du national-communisme : Mao, grand clerc en contradictions, n'a trouvé qu'une situation balkanique locale à exploiter pour créer des difficultés au parti de Staline qui, à son avis, doit être « à la tête du mouvement communiste mondial». Opération de chantage dont le sec~et a été longtemps bien gardé et sur laquelle le voile n'est pas entièrement l~vé, mais que les «experts» en Occident tiennent pour une affaire « idéologique». Les antagonistes ne se lassent pas d'échanger de sempiternelles accusations réciproques de révisionnisme et de dogmatisme, de sectarisme et d'opportunisme, prises au tragique par les profanes. Or les révélations que certains partis communistes consentent tardivement pour l'usage interne de leurs cadres, et qui filtrent au dehors, prouvent assez que la vérité terrorise les champions de la terreur. Ceux-ci se donnent beaucoup de mal pour parer de terminologie idéologique leurs controverses sordides, mais ne réussissent qu'à alimenter le journalisme vulgaire, non à se con- • A vaincre eux-memes. UNE THÉORIE extrême a, quelque temps, interprété l~s désaccor~s sino-soviétiq~es comme un Jeu concerte entre partenaues pour mieux manœuvrer sur le plan extérieur. Elle n'est plus soutenable, mais il reste vrai que dans la situation donnée, les communistes soviétiques essaient d'en tirer profit pour se présenter comme plus arrangeants que leurs congénères chinois et obtenir ainsi diplomatiquement des avantages à bon compte. Toute une école de politiciens et de spécialistes occidentaux s'évertue à favoriser l'intrigue au nom de leur compétence douteuse apparentée à la bio-géopolitique du Dr Starlinger et teintée d'historiosophie à la Soloviev. Cependant tout n'est pas faux dans les indices collectionnés à l'appui de leur schéma et il ne s'agit que d'en faire le tri, de les ramener à de justes proportions, d'en définir le sens plausible. Notre article Ombreschinoises dans la présente revue (numéro de novembre 1960) signalait les discordances soviéto-chinoises relevées dès 1951 dans le supplément de l' Economist de Londres, reproduites peu après dans le New York Herald
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