70 opposé. Le Chancelier a évoqu~ à ce propos la naissance en Sibérie orientale, à la frontière de la Chine rouge, d'un potentiel industriel de premier plaQ. Il pense que l'Union soviétique voudra empêcher une infiltration chinoise dans ces territoires et voit dans cette tâche peut-être la possibilité pour l'Europe d'être sauvée de la mainmise soviétique » (Monde, 16 mars 1962). Le Dr Starlinger soutenait, en effet, que la récente colonisation des terres vierges en Sibérie tend non à produire des céréales ni à exploiter des mines, mais à peupler des territoires pour faire face à la prolifération chinoise 3 • Ainsi le péril jaune prend force d'axiome sur lequel aucun argument n'a prise, et l'obsession est sous-jacente à tous les commentaires actuels sur le conflit « idéologique » soviéto-chinois, ce qui mérite quelque examen en raison des initiatives irrationnelles que ladite obsession suggère dans l'ordre de la politique internationale, à l'avantage constant des communistes. A eux seuls, les éditoriaux des cinq principaux journaux d'Europe et d'Amérique fourniraient des exemples à foison. Toutes sortes d'augures, anciens ou futurs ministres, abondent dans le même sens. On se bornera à citer M. Paul Reynaud, personnage quelque peu historique à sa manière et particulièrement représentatif de l'opinion courante. * ,,. ,,. DÈS 1958, l'ex-premier ministre instruisait Khrouchtchev du danger qui plane sur !'U.R.S.S. : « Dans vingt-cinq ans, il y aura un milliard de Chinois en action », lui dit-il, et « cette évocation du milliard de Chinois provoqua chez îmon vis-à-vis quelques secondes de silence » (Figaro, 6 août 1958). En maintes circonstances, il se réfère au milliard de Chinois et à la guerre qui vient. Pour ne mentionner que les plus ré~entes : « La menace de guerre grandit tous les jours, écrit-il. Certains se demandent même, comme l'a fait publiquement le général de Gaulle, si le chef suprême de l'Union soviétique n'a pas opté pour la catastrophe comme parade à une menace intérieure.» Aussi s'adressant à Khrouchtchev, il l'avise : « Vous savez qui monterait sur les ruines de l'homme blanc. Ce serait le Chinois. C'est lui qui dominerait le 3. Après coup, il nous a été communiqué une publication que nous avions ignorée en traitant des thèses du Dr Starlinger, celle d'U.S. News and World Report du 4 novembre 1955 qui en reproduisait l'essentiel. « On sait que ce livre a eu grande influence sur la politique du chancelier K. Adenauer, par l'intermédiaire de qui son influence s'est fait sentir sur l'attitude de l'Amérique devant le problème russe », dit le magazine dans son introduction. Et plus loin : « Les idées du Dr Starlinger, selon le Chicago-Sun-Times, ont impressionné le Chancelier si fortement qu'il les a discutées avec le Secrétaire d'Etat John Foster Dulles ... » Malgré les objections de M. Martin Fischer, spécialiste des affaires chinoises à Bonn, u le chancelier Adenauer persiste dans sa conviction quant à la justesse des idées du Dr Starlinger ». Les derniers propos du Chancelier prouvent que sa conviction dçmeur~ inébraQlabl~, Biblioteca Gino Bianco . LE CONTRAT SOCIAL monde ..» A quoi Khrouchtchev réplique : « Vous avez parlé du péril jaune. Vous m'en aviez déjà parlé il y a trois ans. Mais le seul conflit est entre les classes et se poursuit indépendamment de la couleur de la peau ... » (Figaro, 23 septembre 1961). Au Parlement, M. Paul Reynaud déclare : « La guerre peut éclater d'un jour à l'autre, a dit le ministre de la Défense soviétique. La Russie a décidé que ses libérables ne seraient pas libérés et le peuple américain a rappelé 150.000 réservistes » (Figaro, 10 novembre 1961). Son dernier cri d'alarme est d'hier: « Ne serait-il pas temps pour !'U.R.S.S. de méditer les prévisions des statisticiens des Nations Unies suivant lesquelles, à la fin du siècle, dans trente-huit ans, c'est-à-dire demain, elle n'aura que 379 millions d'habitants à opposer à I milliard 600 millions de Chinois ? » Heureusement, « M. Khrouchtchev s'est courageusement prononcé» pour la coexistence pacifique « contre ses adversaires de l'intérieur et de l'extérieur » (Figaro, 6 mars 1962). Tout se ramène donc au « phénomène biologique» cher au Dr Starlinger, à l'irrésistible élan de la race jaune, au vieux concept de la migration des peuples excédentaires, abstraction faite de toute considération économique et technologique. Et ce, en un temps où l'humanité vit dans la crainte, non des « sauterelles » innombrables et insatiables, mais du progrès scientifique et industriel, des armements nucléaires qui lui promettent ·un anéantissement quasi total. On ne prêterait pas attention à de telles chinoiseries si l'atmosphère n'en était saturée par la presse et la radio. Personne ne sait, sauf Tito et ses pareils, quels Chinois auraient dit que 300 millions des leurs survivraient éventuellement aux explosions atomiques pour dominer un monde en cendres, et cette calembredaine devient monnaie courante (cf. M. Paul Reynaud, ci-dessus). L' occasion est pourtant bonne de rappeler aux marxistesléninistes caricaturaux de Pékin la pensée si contestable de Marx que « l'humanité ne se pose jamais que les problèmes qu'elle peut résoudre, car (...) le problème lui-même ne se présente que lorsque les conditions matérielles pour le résoudre existent ou du moins sont en voie de devenir ». Rien ·n'empêche d'affirmer que la bombe atomique « se trouve » là précisément pour résoudre le problème du milliard (futur) de Chinois, y compris les 300 millions de candidats à la survie. On rougit de s'arrêter à des choses de ce genre et d'avoir à prouver que Mao et son équipe n'ont nulle intention de se sacrifier ou d'en courir le risque. Or cc il n'est pas nécessaire de tout prouver », comme l'a dit Dostoïevski, bien inspiré ce jour-là. Mais on ne p~uvait purement et simplement passer outre, car toute l'histoire du conflit « idéologique » est inséparable des intentions belliqueuses imputées aux affameurs de la Chine. En effet, à part les formules caduques de Lénine sur l'impérialisme et ses conséquences guerrières, alternant d'ailleurs avec le cliché de Staline sur la coexistence pacifique, les Chinois n'ont rien
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