Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

72 Tribune et le Figaro de l'époque : elles sont antérieures à la mort de Staline, contrairement à ce qu'avancent ceux qui datent en 1960 le conflit pseudo-idéologique, et par conséquent ne découlent nullement du prétendu libéralisme révisionniste de Khrouchtchev, constatation de fait qui réfute d'emblée quantité de sophismes. Un autre article : Khrouchtchev et Mao (notre numéro de mars-avril 1961), mentionne ou rappelle certains litiges et griefs qui altèrent les relations des deux Etats colosses dont l'agressivité au dehors ne se traduit et ne se traduira qu'en paroles tant que la force américaine les tient et les tiendra en respect. Divers épisodes d'importance moindre ou passagère sont tantôt de signification contestable, tantôt classés déjà par l'histoire au jour le jour, et n'affectent en tout cas ni la paix ni l'idéologie du «marxisme-léninisme». L'idéologie n'était pour rien dans la création de « communes » monstrueuses en Chine ; elles témoignent seulement d'une prétention exorbitante de Mao, celle de brûler les étapes pour instaurer le communisme« d'assaut» (mot de Lénine condamnant les excès de son parti avant la Nep) ; les aînés de Moscou ont gardé un silence gêné, implicitement réprobateur devant la tentative dont ils prévoyaient le fiasco, sans grand mérite, car ils avaient l'expérience de leur « communisme de guerre». Sur l'attitude comparée des uns et des autres envers l'Algérie, il n'y a plus à épiloguer : les différences soulignées en Occident étaient inventées de toutes pièces 4 • Quant au rapatriement des techniciens soviétiques, nul ne sait combien restaient en Chine après dix ans de 4. Exemples frappants du bluff chinois qui illusionne tant d'Occidentaux, comme à propos de l'Algérie : Pékin, 28 juin 1961 (Agence France-Presse). - « Les ouvriers chinois et le reste de la population de la Chine appuient fermement les paysans français dans la lutte que ceux-ci mènent pour défendre leurs intérêts vitaux», déclare un message de la Fédération syndicale chinoise, etc. (En quoi consiste ce ferme appui chinois ? En rien du tout, exactement. Des mots.) Pékin, 24 juillet 1961 (Agence Chine nouvelle). - « Le gouvernement et le peuple chinois appuient résolument le peuple tunisien dans sa lutte pour l'indépendance et pour le recouvrement de la base militaire de Bizerte », a déclaré le maréchal Chen Yi, etc. (A quoi correspond cet appui résolu ? A rien du tout, exactement. Des mots.) On pourrait accumuler de telles citations, qui en disent long sur les réalités chinoises. La suivante, d'un autre genre, est significative aussi. Déclaration du maréchal Chen Yi à Genève : « La politique de la Chine populaire comme celle de l'U.R.S.S. est dominée par les principes du marxismeléninisme. On ne trouvera pas plus de fissure dans l'union sino-soviétique que sur la coquille d'un œuf de canard >5 (Monde, 4 juillet 1961). Bref: des mots. Rien qui méritât d'être pris au sérieux ni reconnu comme « idéologie » distincte. Les radotages dé Mao sur l'impérialisme et ses vaticinations sur la guerre ne valent _ pas davantage. Bibl•ioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL collaboration active, ni combien restent encore, mais de toute manière leur présence ou leur absence ne met pas en cause le principe même de l'alliance. Sur le « culte de la personnalité », le dissentiment s'explique assez dans la mesure où le déboulonnage de Staline atteint par ricochet l'exaltation insensée de Mao. Quant au monolithisme communiste, il n'a jamais existé dans l'Internationale, pas plus que dans le Parti modèle de l'Union soviétique, sauf en apparence sous la trique sanglante de Staline. On jase à l'infini depuis l'an dernier sur le «polycentrisme» inventé naguère (en paroles) par un ci-devant valet italien de Staline ; mais à supposer que Pékin rêve de s'ériger éventuellement en deuxième centre, rival de Moscou, il n'y aurait alors que bicentrisme ; et si chaque parti communiste devient autocéphale, il faut parler de dislocation, voire de débandade, non de «polycentrisme». Tout ce qui précède incite à souscrire aux déductions de M. Adam Ulam exprimées dans ·rhe Displaced Mummy (article du Reporter, de New York, numéro du 23 décembre 1961) en ces termes : « Les principaux éléments de la dispute ne sauraient se réduire à aucune différence spécifique d'idéologie ou de politique : ils sont inhérents à l'existence même de deux grands Etats communistes. » Et plus loin : « Il est douteux que, comme certains commentateurs occidentaux le prétendent, les Chinois désirent un holocauste nucléaire. Ce sont des gens intelligents. Mais ils sont convaincus que l'Occident peut et doit être harcelé plus brutalement et rapidement que Khrouchtchev ne se propose de le faire. » Sous réserve de deux nuances, « douteux » étant un euphémisme et « intelligents » une exagération, ces quelques lignes résument aussi notre conclusion. Dans l'épreuve de patience, d'endurance et d'usure, compliquée de manigances obscures et de coups bas, qui se livre entre les épigones de Staline, blancs ou jaunes, il y aura sans doute encore des péripéties inattendues. Pour en déchiffrer les arcanes, il importera surtout de ne pas oublier que les « sans-scrupules conscients » du marxisme-léninisme travestissent leurs mesqui- ·neries en idéologie systématique et que, selon la sagesse ironique de Méphisto, « là où les idées manquent, les mots viennent à point pour y suppléer». Dans le cas présent, la paille des mots détourne l'attention du grain des choses à la faveur du laisser faire, laisser passer qui tient lieu de devise aux démocraties occidentales dans la guerre froide que Khrouchtchev et Mao, répétant Staline, dénomment « coexistence pacifique>>, , B. SOUVARINE.

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