B. SOUV ARINE quand il raconte que la guerre est inévitable, tout en prenant soin de dire fréquemment le contraire 2 • L'article Vent d'Est dans la présente revue (numéro de septembre 1960) offrait assez d'amples citations prouvant la solidarité soviéto-chinoise en matière de coexistence pacifique, c'est-à-dire de guerre froide. On pourrait en allonger considérablement et inutilement la liste. Les déclarations solennelles adoptées par l'ensemble des partis communistes, en 1957 et 1960, engageaient celui de Mao comme les autres. Que les dirigeants de Pékin aiment à se contredire en rabâchant de temps en temps des poncifs de Lénine sur l'impérialisme fauteur de guerres, cela ne correspond à aucune action possible et ne tire pas à conséquence, car des phrases creuses n'attestent qu'impuissance. Ceux qui les prennent au sérieux décèlent leur propre manque de sérieux puisqu'ils s'avouent dupes de la propagande chinoise, des statistiques truquées, des mises en scène qui camouflent la Chine en puissance redoutable, prête à se mesurer avec les Etats-Unis ou l'Union soviétique. La virulence des vitupérations, des menaces et des accusations chinoises contre« l'impérialisme américain » serait plutôt rassurante : chien qui aboie ne mord pas, dirait volontiers Khrouchtchev, spécialiste en proverbes. Mao, spécialiste en contradictions, baissera certainement de ton quand il sera capable de faire quelque chose. * ,,. ,,. D'ou vient que la crédulité publique admette aussi aisément l'hypothèse gratuite d'un danger de guerre générale pointant à l'Est, sur la foi de la rhétorique maoïste ? C'est que ce verbiage recoupe une théorie pseudo-scientifique en vogue depuis la dernière intervention chinoise en Corée et à laquelle des cautions allemandes ont donné du poids. Les livres d'un certain Dr Starlinger, ex-nazi rescapé de prisons et camps soviétiques où il a fréquenté des Eurasiens (au sens russe) obsédés par Soloviev, livres dont il a été rendu compte dans nos numéros de juillet 1957 (L~s Limites de la puissance soviétique, Paris 1956) et de septembre 1959 (Derrière la Russie, la Chine, Paris 1958), n'ont pas eu d'effet direct hors d'Allemagne, mais leur auteur pouvait se flatter d'avoir endoctriné un interlocuteur des plus éminents et respectés, le chancelier K. Adenauer en personne qui, à son tour, devait influencer des personnages de haut rang, d'abord à Washington, puis de Gaulle. Comme tant d'intellectuels du national-socialisme, le Dr Starlinger versait d1ns la géopolitique et, d'ailleurs, se réclamait explicitement des frères Haushofer. Il se piquait même de « bio-géopolitique », l'adjonction inattendue de la biologie tenant lieu de 2. Pour qui ne dispose pas des « œuvres • illisibles de Staline, cf. l'excellent ouvrage de François Houtisse : La Co1xi1tencepacifique (" Monde nouveau •, Paris, 1953) qui n'a rien perdu de sa valeur documentaire et démonstrative. Biblioteca Gino Bianco 69 pseudonyme au racisme en un temps où la« race» était passée de mode. Selon sa conception «biologique» de l'histoire, l'accroissement de la population chinoise répond à des« lois inflexibles » qui déterminent l'expansion jaune «vers le Nord et le Nord-Ouest», donc au détriment de l'Union soviétique, « faisant table rase de toute apparente communauté d'idéologie ». D'où résulterait un antagonisme virtuel entre les deux grands Etats communistes. Un jour, écrit W. Starlinger, « l'armée chinoise composée non plus de cent mille cavaliers, mais des réserves d'un peuple d'un milliard d'âmes, se mettra en marche... » Pour lui, l'issue de la dernière guerre de Corée était déjà une << victoire flagrante » de la Chine sur « la Russie et l'Amérique ». Après maintes variations sur le « phénomène biologique » chinois, à parler plus proprement et simplement : sur le thème démographique ou racial, le médecin et professeur nazi s'en remettait prudemment à la «volonté de Dieu » qui « établit les rapports entre la nature et le destin de l'homme ». Mais il avait d'abord prédit que l'Union soviétique allait bientôt chercher en Europe une couverture protectrice « contre l'invasion menaçante de l'Est » et que les EtatsUnis devront « chercher un terrain d'entente aussi bien avec la Russie qu'avec la Chine». « L'U.R.S.S. a un voisin on ne peut plus désagréable, la Chine communiste, qui exerce des pressions sur elle du seul fait qu'elle existe », remarquait K. Adenauer dans une interview avec United Press (15 juin 1959), faisant écho au « complexe chinois » du bio-géopoliticien décédé en 1956. Toute question idéologique est exclue de ce « complexe », le seul fait que la Chine existe étant un « fait biologique ». Les discours où de Gaulle envisage l'avenir des « Blancs » et celui de l'Europe étendue « de l'Atlantique à l'Oural », consécutifs à ses conversations avec le Chancelier, s'inspirent de la même source. Tout récemment encore, M. Adenauer s'exprimait ainsi : « Je suis persuadé que pour la Russie soviétique, la Chine communiste représente le plus grand péril. Elle est la voisine de la Russie, elle compte en gros 700 millions d'habitants, la Russie 200 millions. Il est très désagréable pour un Etat d'avoir un voisin aussi puissant et qui, de surcroît, sera vraisemblablement agressif. Je crois que les dirigeants soviétiques, en particulier M. Khrouchtchev, aperçoivent très clairement ce danger, et que cette opposition entre la Russie et la Chine est un facteur qui assure la paix du monde » (Monde, 10 mars 1962). Peu après, le Chancelier précisait sa pensée que l'agence allemande O.P.A. résume en ces termes : « Elle [l'Union soviétique] pourrait tenter d'amener l'Europe occidentale dans sa zone d'influence afin d'augmenter ses possibilités de résistance à l'égard de la Chine rouge. Ce n'est que lorsqu'elle se rendra compte de l'impossibilité de réaliser ce projet que sa politique à l'égard de l'Occident prendra peut-être un cours radicalement
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