QUELQUES LIVRES tion de l'U.G.T. Or ces documents permettent de mieux comprendre la façon dont la C.N. T. concevait la révolution et ce qu'elle pensait de la guerre. La guerre, M. Broué n'y pense pas beaucoup. Pourtant c'est la guerre qui a déclenché la révolution, c'est elle qui a contraint les révolutionnaires à chercher un compromis entre leurs aspirations et les nécessités du moment, c'est elle qui a permis aux artisans de la contre-révolution de faire prévaloir leurs vues. Cette guerre a provoqué des centaines de milliers de morts, elle a détruit de grandes richesses, elle a accumulé les ruines morales et matérielles, et quand elle s'est achevée l'Espagne s'est retrouvée soumise au sabre et au goupillon, tandis qu'une multitude de ses fils étaient en prison (et beaucoup d'entre eux allaient être fusillés), d'autres en exil. Près d'un quart de siècle plus tard, il ne semble pas qu'il y ait à l'horizon d'autre lumière que... le retour de ces Bourbons qui ont fui le pays en 1931. Une autre solution était-elle impossible ? Le camp républicain ne pouvait-il l'emporter ? A la vérité, une victoire républicaine est assez vite devenue improbable. Mais quand les républicains auraient triomphé, qui peut croire que l'Espagne pouvait jouir d'une vie paisible et démocratique ? Dès avant le pronunciamiento, la république chancelait. Et pendant la guerre civile, les forces vivantes de l'Espagne républicaine n'étaient unies que contre l'ennemi commun. Non seulement elles avaient peu de chances de s'entendre entre elles, mais elles étaient très généralement hostiles à ce régime parlementaire qui est presque la seule ~or!lle de tolérance réciproque que nous conna1ss1ons. Dès les premiers jours, un homme fut conscient du danger. « Si notre triomphe était une question de quelques heures, disait Indalecio Prieto le 29 juillet 1936, je dirais que les suites de la rébellion seraient importantes. Si la lutte dure encore un mois, je dirais qu'elles seront de la plus grande gravité. Si tout n'est pas fini dans deux mois, nous n'avons pas de point de repère pour mesurer ce que sera alors la vie politique et sociale de l'Espagne. » Quelques mois plus tard, la guerre se prolonge, et quiconque n'est pas obnubilé par la passion doit se convaincre que, quoi qu'il arrive, les fruits de cette guerre civile ne peuvent être que terriblement amers. Mais qui donc examine la guerre civile sans passion particulière, qui pense aux affairesde l'Espagne avec le seul souci du bien de l'Espagne dans son ensemble ? A peu près personne. Un homme, pourtant, a pensé avant tout à l'Espagne, c'est Prieto. M. Broué le définit comme un « champion du modérantisme >> (p. 174), et s'imagine que c'est par passion contreBiblioteca Gino Bianco 121 révolutionnaire que Prieto a, avec les communistes, contribué à la chute de Largo Cab2.llero (p. 245, et p. 268 en note). C'est méconnaître totalement la politique de Prieto. A la suite de M. Broué, M. Témin1e (pp. 444-45) soutient que Prieto a été pour les communistes « un de leurs plus précieux alliés ». Et il ajoute : Dans la lutte contre Largo Caballero, dans le gouvernement Negrin pendant de longs mois, ils ont été à ses côtés parce qu'il était un homme d'ordre dont les vues coïncidaient avec les leurs (...) parce qu'il était un partisan résolu de l'unité socialiste-communiste. Il est difficile d'accumuler tant d'erreurs patentes en si peu de mots. Les communistes se sont en effet trouvés du même côté que Prieto au moment de la chute de Largo Caballero, mais ce fut une coïncidence sans lendemain. Dès la formation du premier gouvernement Negrin, Prieto engagea la lutte contre tous les jusqu'auboutistes, de quelque bord qu'ils fussent. Son idée fondamentale, c'était qu'il fallait à tout prix arrêter cette guerre meurtrière et absurde. Il fallait du courage pour envisager cette politique, de l'héroïsme pour l'entreprendre. Avec une admirable énergie, parmi cet océan de gens qui se livraient à leurs dévotions particulières, il a été le seul à servir l'Espagne. Dès le mois de mai (nos deux auteurs le savent, le disent, et n'en tiennent pas compte), il tâte le terrain sur le plan diplomatique. En même temps il prend les premières mesures contre l'impérialisme des communistes : en juillet la propagande politique est interdite dans l'armée, en novembre Alvarez del Vayo est destitué. Déjà le scandale de la disparition de Nin lui a permis, en août, de congédier Ortega, chef de la police. Il n'est évidemment pas question d'une union des partis socialiste et communiste et lorsque, le 17 août, on apprend que l'unité est chose faite dans la province de J aen, la direction socialiste intervient vigoureusement, et destitue les dirigeants de cette fédération. Entre-temps, Prieto détruit le P.O.U.M. et commence à agir contre la C.N.T. et l'U.G.T., hostiles l'une et l'autre à sa politique de paix. On est abasourdi de voir ce qu'un homme seul est en mesure de faire lorsqu'il a l'étoffe d'un grand homme d'Etat. Il y aurait beaucoup à dire sur cette période, que M. Broué ignore presque entièrement, et où l'on vit les communistes, contrairement à ce qu'il pense, se rapprocher non de Prieto, mais de la C.N.T. Bornons-nous à rappeler que Prieto tenta d'imposer sa politique par une victoire militaire, que l'offensive sur Téruel, d'abord victorieuse, s'acheva mal, que l'opposition releva la tête, et que l'Espagne fut, pour la plus grande gloire de l'héroïsme révolutionnaire, livrée pour une année encore aux horreurs de la guerre civile. Tout cela, à vrai dire, c'est de la politique, cela n'intéresse pas nos auteurs. Tout attentifs
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