Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

120 entre leurs mains le sort de la révolution, c'està-dire la C.N.T. et le P.O.U.M. Or s'il est souvent question de l'une et de l'autre, certaines erreurs donnent à penser que l'effort de documentation et d'interprétation n'a pas été suffisant. C'est une erreur, par exemple, de parler (p. 114) de « la rivalité qui s'est dessinée au cours des journées révolutionnaires entre P.O.U.M. et C.N.T. ». Cela incite le lecteur à imaginer que le P.O.U.M., antérieurement, menait sur le plan politique une action révolutionnaire analogue à celle de la C.N.T. sur le plan syndical. Si c'est là l'idée de l'auteur, c'est une idée fausse. Le P.O.U.M., loin de se sentir la moindre affinité avec la C.N.T., avait organisé ses propres syndicats, groupés en une cc Fédération ouvrière d'unification syndicale» (F.O.U.S.). C'est dire que ses relations avec la C.N.T. ne pouvaient manquer d'être fraîches. Et lorsqu'au commencement de la guerre civile la C.N.T. et l'U.G.T. décidèrent de ne pas admettre l'existence d'une troisième centrale syndicale, c'est en principe à l'U.G.T. qu'allèrent s'intégrer les syndicats de la F.O.U.S. Le P.O.U.M. craignait tellement la puissante C.N.T. de Catalogne que son bulletin français, quelques semaines plus tard, énonçait que la F .A.I., « en acceptant de participer au Comité central des Milices antifascistes, a levé une terrible inquiétude qui pesait sur le prolétariat espagnol». Le P.O.U.M., organisation marxiste, avait tout à craindre d'une dictature anarchiste. Plus tard, les choses changèrent. Les anarchistes s'aperçurent que les gens du P.O.U.M. n'avaient pas eu tort de les mettre en garde contre l'impérialisme communiste. C.N.T. et P.O.U.M. eurent alors en commun une solide haine du parti communiste de Catalogne, le P.S.U.C. En face de cette organisation agressivement contre-révo-. lutionnaire, une certaine fraternité révolutionnaire grandit entre les militants des deux organisations. Cependant lorsque l'auteur semble croire que le P.O.U.M. aurait pu être, et dans une certaine mesure a été, la conscience révolutionnaire de la C.N.T. (cf. notamment p. 179), il commet une erreur manifeste. Il y a là une incompréhension fondamentale de l'attitude de la C.N.T. Le P.O.U.M. a bien pu, à un certain moment, avoir quelque influence sur ce · petit groupe_· anarchiste qu'étaient les Amigos de Durruti, il n'a jamais fait varier la C.N.T. en matière de doctrine. Et la divergence capitale entre le P.O.U.M. et la C.N.T., c'est que- celui-là songeait aux moyens d'instituer un gouvernement révolutionnaire tandis que, pour la C.N.T., il n'y a pas· de gouvernement révolutionnaire~ Pour elle les termes gouvernement et révolution .sont antinomiques. Dans l'esprit de M. Broué, une conception anarchiste de la révolution s'allie, semble-t-il, à une conception léniniste de l'ex~rcice du pouvoir. Cela ne l'aide pas à comprendre la C.N.T. · Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL A aucun moment la C.N.T. ne s'est convertie à l'idéal bolchéviste, à aucun moment elle n'a songé à participer au pouvoir pour accomplir la révolution. Pour les anarchistes, c'est la guerre civile qui justifie l'existence du gouvernement, et la guerre seule. Par principe d'apolitisme, ils n'ont pas, avant les élections de février 1936, signé le pacte du Front populaire. S'ils ont fait voter - il fallait libérer les prisonniers de 1934 - ils se sont, après la victoire, tenus à l'écart de la politique. Lorsque, au lendemain du pronunciamiento, se forme le gouvernement Giral, ils admettent immédiatement qu'il faut un gouvernement pour coordonner l'effort de guerre. Dès le 22 juillet 1936, la C.N.T. déclare: « Nous sommes aux côtés du gouvernement jusqu'au dernier de nos hommes, jusqu'à la dernière cartouche.» En fait, ce sera là, jusqu'au bout, la position de la C.N.T. Plus tard, lorsque les marxistes entreront dans le gouvernement, la C.N. T. exigera d'y être présente elle aussi. Mais il ne faut pas voir dans cette exigence la moindre intention révolutionnaire. Un an plus tard - le 20 septembre 1937 - un manifeste de la F.A.I. définira très clairement la situation: « L'anarchisme "espagnol n'a pas modifié d'un iota ses doctrines et n'a pas considéré le fait de passer par le pouvoir, ou celui de s'y maintenir, comme une fatalité engendrée par la révolution que font les masses ouvrières, mais comme une nécessité imposée par la guerre, afin de réaliser l'unité indispensable du bloc antifasciste. » Par leur présence au gouvernement, les anarchistes n'ont jamais voulu faire œuvre révolutionnaire, mais seulement limiter l'action contre-révolutionnaire de leurs adversaires et participer à l'effort de guerre. Après les journées de mai, M. Broué estime - avec le P.O.U.M. - que la révolution est terminée. Ce .n'est certainement pas le point de vue de la C.N.T. Sans doute ne se lasse-t-elle pas de dénoncer avec· de plus en plus d'amertume les efforts de la contre-révolution, mais elle songe ·aussi à assurer l'avenir. Dès avant la guerre civile - au Congrès de Saragosse de mai 1936 - le cadre de la vraie révolution a été tracé: il faut s'entendre avec l'U.G.T. Peu après son entrée dans le gouvernement de Largo Caballero, un premier pacte est signé (26 novembre 1936). Et lorsque, après les journées de mai, le chef de l'U. G.T. est chassé du pouvoir, un « Comité national de liaison » est chargé de définir les positions communes des deux grandes centrales syndicales (28 juillet 1937). Il y a là de quoi gêner sérieusement Prieto, qui est le véritable chef du gouvernement Negrin. Une manœuvre de grand style est aussitôt lancée, qui aboutira, le 4 janvier 1938, à l'élimination de Largo 'Caballero. M. Broué, qui relate les péripéties de cette opération (pp. 281-84) ne semble pas se douter que ce qui est en jeu, c'est beaucoup moins la révolution que la politique générale de -Prieto dont on parlera plus loin. Il ne mentionne d'ailleurs ni l'entente du 28 juillet 1937 ni le pacte d'unité d'action que, le 13 février 1938, la C.N.T. signera avec la nouvelle direc-

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