Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

QUELQUES LIVRES sa spontanéité. Cependant l'antiquité de la doctrine ne suffit pas à en garantir la validité, et puisqu'un historien avait recours à elle, il devait saisir l'occasion qui lui était offerte d'en contrôler la valeur à la lumière des faits qu'il étudiait. Cette spontanéité révolutionnaire que les dirigeants ont bridée au lieu de lui laisser libre cours est aux yeux de l'auteur une donnée universelle qu'on peut aisément réactiver dans les cœurs où elle est endormie. Elle existait donc, non seulement du côté républicain, mais chez l'adversaire lui-même. M. Broué admet que la propagande révolutionnaire détermina la déroute italienne à Guadalajara, pose en principe que les Maures auraient été transformés si Largo Caballero leur avait promis l'indépendance. L'enthousiasme révolutionnaire se serait propagé à travers les troupes ennemies, noyant toute discipline dans sa foudroyante illumination. A la vérité, nous avons affaire ici à des hypothèses fondées sur une théorie. Mais sans doute l'historien va-t-il prendre à tâche de nous faire comprendre comment les masses populaires se sont laissé berner par leurs dirigeants. Chose difficile à admettre, car si l'esprit révolutionnaire est assez puissant pour contaminer l'armée ennemie à travers la ligne de feu, comment serait-il arrêté par une poignée de gens aveugles ou malintentionnés ? Malheureusement M. Broué, sur ce point, ne satisfait guère notre curiosité. Il dira (p. 240) que « la restauration de l'Etat a permis la renaissance de forces qui semblaient définitivement écrasées au lendemain des journées de juillet : actionnaires expropriés ou propriétaires terriens, fonctionnaires anciens et nouveaux, représentants des partis politiques dont l'autorité (...) tend à s'étendre aux dépens de celle des syndicats ». Voyez comme tous les parasites relèvent la tête à la faveur de la restauration de l'Etat... Mais cette restauration, comment s'est-elle produite? L'explication de M. Broué est curieuse : elle est « un moyen pour gagner la guerre, aux yeux de Largo Caballero ». Ailleurs, on l'a vu, il a ajouté les communistes et les anarchistes, qui figuraient dans le ministère aux côtés de. Largo Caballero. Ailleurs encore (pp. 26566) M. Broué évoque le bouillonnement révolutionnaire qui a abouti, à BarcP.lone,au soulèvement du 3 mai 1937: Il est certes permis de penser que la réaction spontanée des travailleurs de Barcelone pouvait ouvrir la voie à un nouvel élan révolutionnaire, et qu'elle était l'occasion de renverser la vapeur. L'historien se contentera de constater que les dirigeants anarchistes ne l'ont pas voulu et que ceux du P.O.U.M. n'ont pas cru le pouvoir. Ow, mais si au lieu de se contenter de constater les erreurs de Largo Caballero et de tous les chefs politiques anarchistes, poumistes ou communistes, l'historien en question tirait la conclusion logique de ses observations, il lui faudrait Biblioteca Gino Bianco 119 reconnaître que le merveilleux instinct révolutionnaire des masses, source virtuelle de tous les triomphes, ne sert rigoureusement à rien, puisque le parasitisme de quelques politiques suffit à en paralyser tous les effets. A ce moment-là, l'historien laisserait quelque chantre anarchiste composer une élégie sur l'échec de l'esprit révolutionnaire et les défaites du prolétariat, et il se tournerait vers ces grains de sable qui bloquent les rouages idéaux de l'histoire, ces grains de sable qui, de son propre aveu, contribuent essentiellement à orienter l'histoire et sont par conséquent les objets propres de la réflexion historique : les hommes et les groupements politiques. M. Broué, nous l'avons dit, s'est documenté avec soin. Mais le peu d'intérêt qu'il porte aux forces politiques le conduit à mainte erreur d'appréciation. La plus grave est de se désintéresser à peu près complètement de tout ce qui s'est passé en Espagne après la répression qui a suivi les journées de mai. Si l'on veut comprendre le jeu des organisations politiques même pendant la première année de la guerre civile, il n'est pas mauvais de savoir comment elles se sont comportées dans la suite. Par exemple, l'auteur signale dans une note (p. 251) une explication de la chute de Largo Caballero donnée après coup par Jesus Hernandez - il s'agissait d'empêcher Largo Caballero de lancer l'offensive qu'il préparait en Estrémadure - et exprime son scepticisme. Notre historien n'ignore pas que les communistes sont dévorés par la passion politique mais, semble-t-il, il ne peut croire qu'ils aient été jusqu'à nuire délibérément à la conduite des opérations. S'il avait poussé plus loin ses recherches historiques, il se serait aperçu que les ministres communistes ont répété exactement leur manœuvre quelques mois plus tard - le 3 décembre 1937 - pour empêcher Prieto de lancer son offensive contre Téruel. Il n'est pas impossible que les communistes aient souhaité la victoire de l'Espagne républicaine, mais il est certain qu'ils ont cherché à empêcher toute victoire qui ne serait pas la leur, et qu'en tout cas les conflits politiques, à leurs yeux, passaient avant la guerre*. * ,,.,,. Il y a deux autres organisations que M. Broué devait particulièrement s'efforcer de comprendre: celles qui, selon lui, ont à certains moments tenu • Ajoutons que, dès la chute de Largo Caballero, des gens bien inform~s en donnaient, à Barcelone, l'explicotion que longtemps après confirma J csus Hcrnandez.

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