118 La guerre civile d'Espagne , PIERREBROUÉet ÉMILETÉMIME: La Révolution et la guerre d'Espagne. Paris 1961, Les Editions de Minuit, coll. cc Arguments », 542 pp. LA GUERRcEivile espagnole, cette aventure qui fit plus de bruit et eut plus de couleur que la plupart des autres événements de notre temps, et qui en Espagne et hors d'Espagne a suscité tant de passions, comment l'ont donc comprise MM. Broué et Témime, jeunes histori~ns qui n'en ont, dans leur enfance, connu qu'une lointaine rumeur ? Assez bizarrement nous nous trouvons devant une œuvre dont les auteurs ont eu des points de vue très différents. Ils nous avertissent dès la préface que, l'un s'intéressant à la révolution, l'autre à la guerre, ils ont écrit chacun la moitié du volume. On doit donc s'attendre à une grande disparate entre les deux parties du volume, et on la trouve en effet. Il y a plus f âcheux encore: c'est que M. Broué, auteur de la première partie - et qui pourtant cite le mot tant cité et si rarement compris de Clausewitz : «. La guerr~ n'est que la continuation de la polittque par d autres moyens » - ne tient pas compte de 1~guerre au~ant qu'il le faudrait, et ses perspectives et ses Jugements en sont faussés. Inversement M. Témime s'occupe des combats sans accorder une place suffisante à l'action réciproque de la politique et de la guerre. La source de ces erreurs, c'est que l'un et l'autre fait preuve, dans sa spécialité, d'une curieuse indifférence pour les êtres individuels ou collectifs qu'il a l'occasion de nommer. Dès la préface M. Broué - de qui le travail, surtout, nous retiendra - se présente comme un homme qui est d'accord cc avec les communistes dissidents ou les syndicalistes révolutionnaires, parce qu'il pense, avec Saint-Just, que ceux qui font des révolutions à demi ne font que se creuser· un tombeau ». Cette définition de l'auteur par lµi-même a de quoi nous inquiéter. Qu~il mêle quelque pass~on à sa peinture historique, passe encore. Mais que penser d'un historien qui accorde plus d'importance à un être abstrait qu'aux organismes concrets qui sont l'objet immédiat de l'histoire ? Or c'est bien à un ê~re~bstrait que s'attache M. Broué, _puisqu'il se dit d accord avec deux tendances qw ont, de· la révolution, des conceptions radicalement opposées. L'entité révolution a, à ses yeux, plus de ré~lité que les in~vidus. et l~s groupes qui ont pris .de~ ~esures revolunonnaires, de même que ces individus et ces groupes ont pour lui plus de réalité que les individus et les groupes qui n'ont pas manifesté de tendances révolutionnaires. Malheureusement la révolution en tant qu'entité n'a pas d'existence historique, de sorte que l'idée de révolution procure seulement un· cadre pratique où ranger les faits historiques : l'élan révolutionnaire se manifeste initialement Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL au moment où l'Etat se dissout, et le reflux se produit avec la restauration de l'Etat. L'auteur a rassemblé une documentation sérieuse et l'utilise avec honnêteté, mais il est incapable d'analyser en profondeur la politique et la personnalité· d'aucun des personnages du drame, que ces personnages soient des hommes ou des organisations. Cela le conduit à de graves erreurs d'interprétation sur des points essentiels. ·M. Broué écrit, vers la fin de son étude (p. 289) : « La révolution, en fait, est terminée, l'Etat est restauré.» Ce jugement, qui se rapporte à l'année 1937, et plus précisément au premier gouvernement Negrin, manifeste assez la conception que, plus ou moins consciemment, il se fait de la révolution. Il y a antinomie, à ses yeux, entre l'~tat et la révolution : la révolution ne peut se marufester que par la spontanéité des masses, et l'Etat est nécessairement l'adversaire de la révolution. Cette conception, indubitablement empruntée à l'anarchi~~e? s'exprime ailleurs (p. 173) avec plus de precision : . C'est le contexte international qui a fourni aux véritables artisans de cette reconstruction de l'Etat républicain, socialistes, communistes, et, dans une large mesure, anarchistes, leurs. arguments les plus efficaces en faveur de la « respectabilité » de l'Espagne, du respect de la propriété et des formes parlementaires contre la révolution des Comités et des collectivisations. On doit ici supposer que les anarchistes coupables d'avoir contribué à restaurer l'Etat sont les dirigeants du mouvement. Et voici maintenant la dernière phrase de M. Broué: i:our se }'attre contre Franco et ses alliés, l'Espagne « democratlque » et respectable de 1937 est aussi isolée que l'était l'Espagne révolutionnaire de 1936. On aperçoit à présent l'idée que l'auteur se fait de la•révolution espagnole : ce fut une transformation sociale jaillie de l'instinct populaire et dont l'élan, sans doute, était en mesure d~ tout vaincre, y compris les armées de Franco et de ses alliés. Par malheur les socialistes communistes et anarchistes - c'est-à-dire 'notez1 . , e, tous ceux qw se prétendent révolutionnaires - eurent la naïveté de croire qu'il fallait paraître respectueux de la propriété, afin de se concilier les bonnes grâces de l'Angleterre et de la France. (?r c'était fà une ridicule illusion. Le juste instlnct du peuple se trouva ainsi neutralisé par les erreurs de ses dirigeants. Cette intéressante théorie prend place dans une lon~e .e~ hono.rable tradition. Depuis une h~ute ~?9w~e ce~s ont cru que la conscience et la civilisatlon etaient une source de faiblesse et d'erreur, que seule était bonne la nature dans
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