Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

QUELQUES LIVRES et ses amis, parmi lesquels figurait Elisée Reclus, ainsi que beaucoup d'autres matériaux, notamment les textes choisis, provenant de la collection de Max Nettlau et ayant trait à l'Italie, que James Guillaume avait commencé à préparer pour un septième volume des Œuvres en langue française. Afin de ne pas différer plus longtemps l'édition de ce qui peut déjà être livré au public, le Comité de rédaction a décidé de publier les textes « indépendamment les uns des autres, chaque volume comprenant les manuscrits se rapportant à un thème donné et autant que possible dans l'ordre chronologique». Aussi bien, le premier volume a-t-il pour titre : Michel Bakounine et l'Italie, 1871-1872. Il sera suivi à bref délai d'un second volume qui, sur le même sujet, complétera le premier et contiendra des matériaux d'un grand intérêt historique sur le conflit idéologique qui opposa Bakounine à Karl Marx, conflit doublé d'un antagonisme personnel qui devait aboutir, en 1872, à l'expulsion de Bakounine et des bakouniniens suisses de l'Internationale. Les textes sont présentés et annotés par A. Lehning qui, depuis plus de trente ans, s'est consacré à leur étude et, en historien particulièrement versé dans la connaissance de cette époque, a écrit pour ce premier volume une introduction et des notes solidement documentées tant sur les rapports de Bakounine avec l'Italie et sa mémorable polémique avec Mazzini que sur le développement du mouvement socialiste, consécutif à la fondation de la 1re Internationale, non seulement en Italie, mais en France, en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, en Espagne et en Amérique. Dans son introduction, A. Lehning fait l'historique de l'arrivée de Bakounine en Italie (janvier 1..6..4). Depuis fin décembre 1861, ce dernier, évadé de Sibérie, vivait à Londres où il avait retrouvé ses amis Ogarev et Herzen. C'est au cours de ce séjour qu'il fit la connaissance de Mazzini et prit, si l'on peut dire, la mesure de celui qu'il devait plus tard combattre avec un acharnement incroyable sans jamais oublier, cependant, l'impression que, dès leurs premières rencontres, lui avait faite Mazzini, « un homme q11·onest forcé de révérer et d'aimer même en 1 e combattant, car s'il est une chose que personne n'oserait mettre en doute, c'est le haut désintéressement, l'immense sincérité et la non moins immense passion pour le bien, de cet homme, dont la pureté incomparable brille de tout son éclat au milieu de la corruption du siècle ». On voit que Bakounine ne lui ménageait pas l'éloge, non plus d'ailleurs que les coups les plus rudes, tout en donnant à sa polémique une ampleur qui par son contenu philosophique et doctrinal dépassait de beaucoup les frontières de l'Italie. Cette polémique remplira donc le premier et le second volume des Archives Bakounine. Dès le début, elle porte l'empreinte de l'époque qui vit la naissance de l'Association internationale des travailleurs et de l'Alliance de la démocratie Biblioteca. Gino Bianco 117 socialiste, l'écroulement du Second Empire et la défaite de la France, le triomphe du pangermanisme que Bakounine haïssait, et l'avènement de la Commune de Paris ainsi que sa fin tragique. On peut même dire que si l'Italie fut le cadre principal du travail d'organisation et de la propagande de Bakounine, la toile de fond sur laquelle celui-ci projeta ses furieuses attaques contre Mazzini fut la Commune, condamnée par le patriote italien au nom de sa conception de l'Etat unitaire et « autoritaire » et de ses idées sociales et religieuses de cc théologien ». Cela nous vaut des pages qui méritent d'être lues et dont une faible partie seulement figurait dans les Œuvres. Fidèle à son habitude qui consistait à se livrer à de vastes digressions bien souvent sans rapport avec le sujet qu'il traitait, Bakounine évoque tour à tour, dans sa polémique avec Mazzini, le -péril que fait courir au monde occidental l'existence de 80::> à 850 millions d' Asiatiques, << ••• hommes féroces, capables de constituer des Etats, formant déjà d'immenses Etats despotiques et devant déverser tôt ou tard leur trop-plein sur l'Europe», puis le pangermanisme personnifié sous sa forme la plus agressive par le prince de Bismarck, et enfin l'appui que les conceptions autoritaires professées et imposées par Karl Marx dans l'Internationale apportait, selon lui, au pangermanisme sur le continent européen et jusque dans le monde ouvrier. Cette accusation, Bakounine la renouvellera maintes fois avec une force croissante dans les écrits de cette , epoque. C'est encore dans les fragments inédits qui couvrent I 70 des 31 o pages de ce volume, hormis l'introduction et les notes, que l'on découvre un Bakounine historien de la Commune et farouche défenseur de ses martyrs, de ses tendances communalistes et fédéralistes. Les jugements qu'il porte sur les actes de la Commune, sur les hommes qui, à des titres divers, gravitèrent autour d'elle, vont d'une ardente sympathie à la critique la plus dure. Et l'analyse qu'il fait des erreurs de la Commune ne doit pas rester ignorée. De nombreuses notes aident le lecteur à rattacher les moindres faits évoqués à leur contexte historique et l'intérêt que présente cette documentation de premier ordre n'est pas le moindre attrait que procure la lecture de ce beau et fort volume, le premier d'une série qui restera comme un monument élevé à la mémoire de celui qui, malgré ses outrances de langage dues à ses origines et la violence de ses ripostes contre d'injustes attaques, dénonça avec une vision prophétique les vices mortels du « communisme autoritaire », contre lequel il essaya vainement de concevoir un système social, fondé sur l'association et la fédération des travailleurs et excluant tout gouvernement, tout Etat centralisé, dont le moins que l'on ~uisse dire est qu'il n'allait pas dans le sens de 1évolution de la société moderne. MARCEL BODY.

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