K. PAPAIOANNOU vains communistes après beaucoup de difficultés, de graves erreurs et une violente lutte spirituelle - ont décidé que plus jamais, à aucune condition, ils n'écriront de mensonges. Disons sincèrement que c'était là la cause fondamentale des luttes et des humiliations des récentes années. La vraie raison de nos conflits était que nous avions fait serment de vérité et que certains personnages influents (...) nous en avaient blâmés. Nous voulons promettre ici qu'à l'avenir nous ne serons jamais liés à ceux qui, considérant le mensonge comme une arme indispensable de la politique, veulent l'imposer aussi à la littérature. Nous savons combien il est difficile d'écrire la vérité. Cela exige du talent, des connaissances et bien d'autres choses encore ... Nous savons combien il est difficile d'être écrivain ... Nous, écrivains hongrois, indépendamment de l'attachement au Parti ou de la conviction philosophique, devons engager ensemble notre parole à la vérité. C'est le métier des écrivains de dire la vérité. Aujourd'hui ils sont les témoins, demain ils seront les juges de l'immense procès pour la défense des droits et du bonheur de l'homme. Il est pénible et honteux de constater que, pendant ces années tragiques de littérature schématique, les écrivains aux conceptions les plus justes, les écrivains communistes, ont participé aux déviations machiavéliques. Mais ils souffraient cruellement dans cette atmosphère de mensonge. Ils ont payé leurs fautes en perdant l'inspiration et leur réputation d'écrivains. Ils ont payé autrement encore ... En devenant moins vrais et moins bons écrivains, nous sommes devenus aussi de piètres marxistes et de piètres communistes 9 ... Nous savons maintenant que ces hommes courageux ont tenu leur promesse. Mais quelle fut la réponse des intellectuels « marxistes » ? Il serait indécent de rappeler l'enthousiasme et le soulagement avec lequel les représentants officielsde la « science prolétarienne » ont accueilli l'écrasement de la révolution hongroise par les tanks soviétiques. Citons donc l'auteur qui s'est donné pour mission de prêter une apparence de cohérence à ce que les orthodoxes murmurent sous cape, avec toutes sortes de réticences plus ou moins habiles. On peut mesurer l'ampleur de la déliquescence d'une ,cert~ine ~orme. de « marxisme » et de « pensee revolut1onnatre » en relisant les réflexions que la tragédie hongroise a inspirées à M. Sartre : la nouvelle interprétation qu'il propose du « démon de l'ignorance » et du mensonge n'est pas ce qui étonnera le moins. En effet, selon lui, tout le mal vient de la divulgation prématurée du « rapport Khrouchtchev ». De son point de vue... ...la faute la plus énorme a probablement été le rapport Khrouchtchev, car la dénonciation publique et solennelle, l'exposition détaillée de tous les crimes d'un personnage sacré qui a représenté si longtemps le régime est une folie quand une telle franchise n'est pas rendue possible par une élévation préalable, et considérable, du niveau de vie de la population (sic) ... Le résultat a été de découvrir la vérité pour des masses qui n'étaient pas prêtes à la recevoir (sic). Quand on voit à quel point, chez nous, en France, le rapport a secoué les 9. Dans /roda/mi Ujsag, 22 sept. 1956. Cit~ dans La Révolution hongroise, 1957, pp. 10-1 I. BibliotecaGino Bianco 101 intellectuels et les ouvriers communistes, on se rend compte combien les Hongrois, par exemple, étaient peu préparés à comprendre cet effroyable récit de cri~es et de fautes, donné sans explication, sans analyse historique, sans prudence. Comment ne pas admirer la folle imprudence de la bourgeoisie qui avait laissé paraître un rapport aussi dépourvu de toute « explication » et « analyse historique~> q?e le. rappo1; ':uill~rmé ~ Aucun penseur « react1onna1re » n a Jamais ose écrire que l'exposition (détaillée, s'il en fut) de toutes les horreurs du système des fabriques, exposition qu'Engels a pu trouver dans les rapports des commissions nommées par le gouvernement de Sa Majesté, avait été une « folie »... Jusqu'ici, on avait émis toutes. s?rtes ~~ doutes en ce qui concerne la « capac1te politique » des classes ouvrières, mais personne n'avait osé affirmer publiquement que les masses pourraient ne pas être « prêtes à recevoir la .vérité » ; que la vérité en ce qui concerne les crimes de leurs gouvernants ou, plus prosaïquement, leurs propres conditions d'existence, devrait demeurer secrète aussi longtemps qu'une « élévation considérable du niveau de vie de la population » n'ait rendu possible (et anodi~e) _sa divulga!i?n. Mais alors, à supposer que la theone de la « nu~ere croissante» soit vraie, les ouvriers ne devraient jamais prendre connaissance de « révélations » aussi incendiaires que celles qui sont contenues dans les livres de Carlyle et de Ruskin. Car, suivant cette étrange philosophie de la « prudence », seuls des ouvriers repus auraient droit à la lecture du Manifeste communiste. A en croire cet écrivain, qui n'a jamais manqué l'occasion de proclamer son admiration pour Marx, le « matérialisme historique » devrait être reformulé et postuler une subordination de la « recherche de la vérité» à la théorie de la conjoncture économique. La dialectique sans « fétiches » nous enseignerait ainsi qu'à un certain degré de développement des forces productives, un certain nombre de calories par jour et par tête d'habitant est obtenu, qui rend possible une certaine dose de franchise dans les rapports entre les maîtres et les esclaves. Alors commence une ère de divulgation de vérités pour des masses enfin prêtes à les recevoir. Car, à y regarder de plus près, on constate que les esclaves ne posent jamais d'autres questions que celles auxquelles leurs maîtres sont capables de répondre ... Telle serait - ou presque - la nouvelle version de la célèbre Préface à la Contribution à la critique de l' Economie politique. Si maintenant on veut renouer les liens avec la pensée de Marx, on devra plutôt méditer sur ce qu'on appelle de nos jours révisionnisme: c'est ce qw est visé à travers cette redoutable accusation qui nous révélera, en même temps que les derniers vestiges de la pensée marxiste, son ultime chance de renouveau. En fait, nous ne connaissons pas de meilleure introduction aux thèmes fondamentaux de l'in-
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