R. CONQUEST et pour s'être opposé aux stimulants que Khrouchtchev suggérait d'offrir aux paysans; de plus, ses Problèmes économiques du socialisme avaient été censurés. Quoique moins ouvertement, la politique et les théories staliniennes concernant les stations de machines et de tracteurs furent abandonnées par la suite, réfutés son idée d'un passage au tovaroobmien ( échange des marchandises, troc) ainsi que l'assolement herbager auquel il tenait ta.nt. L'attitude officielle jusqu'au XXIIe Congrès est définie par l'article sur Staline dans la dernière édition de la Grande Encyclopédie Soviétique. (Le tome 40 parut en 1959, avec plus de dixhuit mois de retard pendant lesquels furent publiés tous les autres volumes dans l'ordre alphabétique.) L'article, long de six pages, contre quarante-quatre dans l'édition précédente, atténue le rôle de Staline dans la révolution sans que soit pour autant accordé le moindre mérite à « l' opposition ». Staline est loué pour sa lutte contre les déviations de gauche et de droite et pour son rôle dans la collectivisation et l'industrialisation. Il y a peu de chose sur son compte au chapitre des épurations et le ton est infiniment plus modéré que celui du discours secret. Il est dit qu'il employa contre les adversaires politiques des moyens de répression inutiles, motivés par sa thèse erronée de 1937 selon laquelle la lutte de classes ne fait que s'intensifier pendant la réalisation du socialisme ; mais la plus grande responsabilité dans la liquidation d'honnêtes staliniens est mise au compte des « ennemis jurés du peuple, Iagoda, Iéjov et Béria, qui s'étaient insinués dans la confiance de J. V. Staline». On reconnaît à Staline une « sérieuse contribution à la défense du pays » pendant la guerre, bien qu'il ait cru à tort au pacte germano-soviétique, qu'il n'ait pas su préparer le pays à l'agression allemande et qu'il ait passé outre ·aux dispositions prises sur place par des membres du Comité central (il s'agit sans doute de la bataille de Kharkov en 1942). Il est peu question de l'aprèsguerre, à part certaines de ses théories économiques qualifiées de fallacieuses et la rupture avec la Yougoslavie considérée comme une erreur. Des plus intéressantes, dans l'article de l' Encyclopédie, est l'analyse du « culte de la personnalité », attribué aussi bien aux traits de caractère négatifs de Staline qu'aux conditions difficiles des années 30. La démocratie dans le Parti est intacte : elle n'a cessé . d'exister qu'au sommet, tandis qu'elle continuait aux échelons inférieurs. Les effets néfastes du culte n'ont pas de rapport avec le développement de l'Etat soviétique. Le nom de Staline est « inséparable du marxismeléninisme » et « ce serait déformer grossièrement la vérité historique que d'étendre les erreurs commises par Staline à la fin de sa vie à toutes ses activités au cours de nombreuses années... » D'autre part, « les attaques des révisionnistes contre le prétendu " stalinisme " sont essentielBiblioteca Gino Bianco 95 lement une forme de la lutte contre les positions fondamentales du marxisme-léninisme». * ,,. ,,. TELLE fut la ligne officielle jusqu'au XXIIe Congrès. Le nouvel assaut contre le stalinisme éclata donc comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Il semble avoir été dirigé non contre Staline lui-même, mais contre Molotov, Vorochilov, Kaganovitch et Malenkov. Le jugement officielsur Staline restait, pour l'essentiel, inchangé par rapport aux cinq années précédentes, mais les accusations contre le groupe antiparti étaient à la fois plus virulentes et plus explicites. (On ne voit cependant pas en quoi ces hommes représentent pour Khrouchtchev une menace politique réelle.) Les attaques les plus dures contre le « groupe » furent menées par les hommes les plus proches de Khrouchtchev, tandis que les personnalités du Présidium qui ne lui doivent pas leur carrière se bornaient, dans l'ensemble, à des considérations d'un caractère plus général. Il semble que deux principales tendances soient en rivalité, l'une utilisant la critique du passé comme tactique pour éliminer l'autre qui, elle, préfère procéder plus lentement. (Faut-il voir une allusion à Kozlov dans le . rapport de la Commission de contrôle présenté par Chvemik, qui étend la << mauvaise » période de l'épuration de Léningrad de 1949 à 1952, alors que Kozlov y était secrétaire aux cadres ?) Cependant, la nouvelle campagne de Khrouchtchev n'a pas eu un succès complet : à la fin du Congrès, les accusations portées contre Vorochilov ont été atténuées dans une large mesure et la composition du nouveau Présidium ne reflète pas de changement sensible. Khrouchtchev est toujours devant un dilemme. Il est facile de rendre hommage du bout des lèvres à la « légalité socialiste » et de débaptiser des villes, ce qui peut se faire d'un trait de plume. Déboulonner les bustes de Staline placés en grande pompe, pendant les dernières décennies, par les alpinistes soviétiques sur les plus hautes cimes demandera beaucoup de temps et d'efforts; mais il sera encore plus long et plus difficile d'effacer l'héritage politique du stalinisme. * ,,.,,. LA CRITIQUE antistalinienne renouvelée au XXIIe Congrès a suscité chez les communistes étrangers quelques commentaires judicieux qui reflètent peut-être des idées ayant déjà cours dans le P. C. soviétique, mais ne peuvent encore s'y exprimer. Au Comité central du P. C. italien en novembre 1961, un des membres, Secchia, déclara que les Russes n'en étaient pas « venus aux exécutions sans un long processus qui n'a
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