Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

94 En 1955, on parla beaucoup de la nécessité d'une direction «collégiale» et des méfaits du «culte de la personnalité ». Mais Staline demeurait intangible et son anniversaire fut de nouveau célébré. Dans un article consacré à l'événement, le Kommounist alla jusqu'à associer Lénine, Staline et Khrouchtchev, ce qui prouve que ce dernier n'envisageait pas à ce moment une attaque ouverte contre son ancien patron. La lutte contre le «stalinisme » était moins une lutte contre les principes de Staline que la rivalité d'une partie de ses sectateurs avec l'autre. A la veille du xxe Congrès, elle se concentrait autour de la question des réhabilitations, déjà inévitables. Dans son discours secret, Khrouchtchev fit allusion à plusieurs affaires remontant à la période d'avant Béria, sur lesquelles une enquête avait été faite «en 1955 ». Il révéla aussi, chose curieuse, que le juge chargé, entre autres, de l'instruction de l'affaire Kossior avait été interrogé en personne par le Présidium du Parti «quelques jours seulement avant le présent Congrès». Que le Présidium ait jugé cette audition nécessaire signifie probablement que ses membres n'étaient pas disposés à se contenter des rapports soumis par les organes instructeurs. Kossior avait précédé Khrouchtchev au poste de premier secrétaire du Parti en Ukraine, et parmi les principales affaires de réhabilitation, la sieD..t:J.eétait certainement celle à laquelle Khrouchtchev était le plus étroitement mêlé. Il est permis de supposer que les rapports soumis au Présidium laissaient dans l'ombre cet aspect et que l'interrogatoire personnel du juge était destiné à le faire figurer au dossier. Les déclarations de Khrouchtchev au XXIIe Congrès confirment qu'en 1956 Molotov et consorts s'opposaient énergiquement à ce qu'on remuât le passé. Pourtant le procédé n'était évidemment pas sans danger pour Khrouchtchev lui-même. · NÉANMOINS, Khrouchtchev semble avoir été plus ou moins résolu en février 1956 à imposer la discussion et à en tirer tout le parti possible (bien qu'en fait ce soit Mikoïan qui divulga les choses). Khrouchtchev affirme maintenant qu'il ne put obtenir du Présidium la permission de prononcer son discours qu'en menaçant, en cas de refus, de passer outre et de le prononcer en qualité de simple délégué. Certes, c'est peutêtre là une fable; ou encore ne s'agissait-il que d'une vague menace. Quoi qu'il en soit, le discours vint trop tard pour peser dans la compétition pour le pouvoir. Car les marchandages sur la composition du nouveau Présidium étaient sans aucu~ doute déjà terminés et avaient abouti à une impasse. En 1956, le discours secret fit le tour des organisations du Parti, suscitant de nombreux remous, Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL l'antistalinisme mettant en cause les actes passés, donc la position présente de toute la direction du Parti (cette tendance, nous l'avons vu, dut être promptement dénoncée dans la Pravda ). Le 30 juin, une résolution du Comité central « Sur l'élimination du culte de la personnalité et de ses conséquences» porta officiellement l'attaque contre Staline devant le grand public. Une bonne dose d'antistalinisme anarchique s'étant entre-temps manifestée dans certains partis communistes étrangers, les vétérans du Présidium du P. C. de l'Union soviétique en tirèrent la morale. Le texte de la résolution du 30 juin était beaucoup plus modéré que le discours secret, plus soucieux de défendre la personne de Staline et la légitimité du «noyau léniniste» qui avait servi sous ses ordres et lui avait succédé. Plus tard, dans la même année, les conséquences de la nouvelle politique de Khrouchtchev en Hongrie et en Pologne ainsi que parmi les écrivains soviétiques mêmes renforcèrent la position de ceux qui désiraient freiner l'attaque contre Staline, et pendant la période qui suivit on fit nettement machine arrière. Khrouchtchev en personne prit soin de dire que« le terme de stalinien, le nom de Staline lui-même, sont inséparables du noble titre de communiste» (Pravda, 17 janv. 1957). Même après l'écrasement du groupe « antiparti » en juin 1957, les dirigeants s'en prirent rarement à Staline. En fait, il n'en fut question qu'une seule fois : Khrouchtchev accusa Malenkov «non seulement de n'avoir pas retenu J. V. Staline, mais d'avoir fort adroitement exploité ses faiblesses et habitudes pendant les dernières années de sa vie» et dans bien des cas de l'avoir « poussé à des actes qui méritent d'être sévèrement condamnés » (Pravda, 28 août 1957). Staline était donc présenté dans une certaine mesure comme la victime de mauvais conseillers. De même, lorsque , le Comité central, dans son décret du 28 mai 1958 sur la musique, réprouva l'attitude subjective de Staline à l'égard de certaines œuvres d'art, il édulcora la condamnation en affirmant que son attitude « avait notoirement été influencée de manière négative par Molotov, Malenkov et Béria », ce qui est absolument faux, le véritable instigateur étant plutôt Jdanov. * '1- '1A TOUT PRENDRE, il est surprenant qu'entre les XXe et XXIIe Congrès on ait si peu parlé du côté « négatif» de Staline. Malgré des allusions fugitives, son activité était, au plus, jugée « in<!orrecte». A part une critique assez ambiguë de la terreur, on lui reprochait telles erreurs politiques et économiques de la fin de sa vie, mai•s jamais son programme fondamental. Dans le discours secret, il avait déjà été critiqué pour n'avoir pas mis les pieds dans les campagnes des années durant, pour avoir ajouté foi aux films de propagande vantant la prospérité agricole

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