R. CONQUEST sition, des programmes d'industrialisation et, surtout, de collectivisation. Cette dernière donna lieu aux pires excès contre le paysannat ; or rien n'a été dit, ni ne peut sans doute être dit, làcontre. Le système des fermes collectives tel qu'il fonctionne est un énorme handicap pour l'agriculture soviétique. Pasternak a pu écrire, dans le Docteur Jivago, que ce fut un échec en même temps qu'une erreur, ajoutant que c'est le refus de revenir en arrière qui engendra la terreur. Mais pareille analyse est inconcevable pour les maîtres du moment et la collectivisation demeure un dogme intangible. En général, l'éloge de la politique de Staline dans ses grandes lignes doit aller de pair avec la dénonciation de la terreur, celle-ci devant être considérée comme un phénomène périphérique, comme un excès sans aucun rapport avec les aspects économiques et sociaux du régime stalinien. Comme l'a fait remarquer Togliatti en 1956, cela conduit à attribuer tous les excès aux fautes personnelles d'un seul individu, ce qui n'est rien moins que marxiste. Il s'agit en fait d'un culte de la personnalité à rebours. LES SUCCESSEUdReS Staline ne tardèrent pas à voir les avantages, aussi bien que les inconvénients, qu'il y avait à se dissocier de leur défunt maître. Dénués de l'immense prestige de l'ancien dictateur, déchirés par des factions et incapables d'exercer une tyrannie unitaire, ils sentaient la nécessité d'un régime plus « libéral », non certes en admettant le peuple dans l'arène politique monopolisée par l'apparat, mais simplement en modérant les méthodes de gouvernement employées par cet appareil. Or cela déjà impliquait un rapprochement entre le peuple et le régime, leur opposition étant le propre du stalinisme. Dès lors que le nouveau régime endossait la responsabilité de l'ancien, il devait par là-même porter le poids de vingt années de « répressions massives». D'autre part, les inconvénients à répudier complètement Staline étaient aussi évidents. Le seul titre des nouveaux dirigeants au pouvoir était d'être les héritiers du défunt; et chacun d'eux portait une part de responsabilité dans tout ce qui s'était accompli sous son règne. Leur premier soin fut de répudier le « complot des m:!decins », geste destiné sans doute autant à apaic;er les cadres du• Parti menacés par l'épuration m1nquée qu'à rassurer la population. Puis, pendant les « Cent-Jours » de Béria, une camp1gne de silence (plutôt que de condamnation) fut lancée contre le nom de Staline. Les exemples les plus frappants furent le discours prononcé par Boulganine le premier mai et l'ordre du jour commémorant l'anniversaire de la victoire du 9 mai. Ce dernier,en particulier, auraitdQêtre l'occasiond'un péan en l'honneur de l'organisateurde la victoire, le premier géniBiblioteca Gino Bianco 93 ralissime depuis Souvarov ; or le nom de Staline fut entièrement passé sous silence. La chute de Béria modifia le caractère de la campagne. La Pravda se prononça avec force, le 13 juillet 1953, en faveur de la direction collégiale et contre les décisions prises par des « individualités ». Plus tard, Aristov déclarera au XXe Congrès que le plénum de juillet 1953 avait mis au jour des violations criantes du principe collégial, « engendrées par le culte de la personnalité». Peu après, à l'occasion du cinquantième anniversaire du Parti, la revue Questions de philosophie (1953, n° 4, mis sous presse en août) publiait un article qui réduisait pratiquement Staline au rôle qu'il devait jouer dans la littérature officielle entre 1958 et 1961. La « Constitution stalinienne » devenait la « nouvelle Constitution » et la victoire sur Hitler était attribuée au seul Parti. Lénine était souvent nommé, et la plupart des réalisations attribuées au Parti et au Comité central. Staline n'était mentionné que deux fois : dans une citation d'un discours de Malenkov au XIXe Congrès et comme un des dirigeants de la lutte contre le trotskisme. Conformément à cette politique, l'anniversaire de Staline fut passé sous silence le 21 décembre 1953. CETTEattitude était sans doute destinée à permettre au régime de prendre ses distances par rapport au passé stalinien sans pour autant jeter le doute sur sa légitimité. Mais, politiquement, la question était d'actualité; autrement dit, elle faisait partie de la lutte pour le pouvoir parmi les hauts dirigeants. Le dossier du régime une fois ouvert, tous les dirigeants furent évidemment tentés d'y rechercher des faits utilisables contre leurs rivaux. Pendant un temps, on allait pouvoir maintenir la fiction que les maux du passé étaient dus à Iéjov et, plus tard, à Béria, mais à la longue le rôle de Staline serait difficile à celer. Rioumine, vice-ministre de la Sécurité d'Etat, rendu responsable du pseudo-complot des médecins, fut condamné et fusillé avec des attendus qui équivalaient à l'assurance que la bureaucratie administrative et industrielle jouissait de la protection gouvernementale contre le retour des méthodes staliniennes. « L'affaire de Léningrad » fut divulguée au procès d' Abakoumov en décembre 1954 ; pourtant, il n'était toujours pas question de mettre Staline en cause. Au contraire, on tenta de se concilier les fidèles de l'ancien régime en célébrant l'anniversaire du disparu, contrairement à l'année précédente. Dans un long article, la Pravda jugea même possible de faire l'éloge des épurations : « C'est lui [Staline] qui dénonça impitoyablement les ennemis du peuple. Sous la direction de son Comité central et de Staline, le ~arti communiste anéantit les traîtres et les défaitistes. »
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