D. L. MORISON En avril 1960, Radio-Moscou commença par diffuser chaque jour quinze minutes en anglais et en français; en avril 1961, le temps d'émission dans ces deux langues atteignait deux heures trois quarts, sans compter une heure en swahili et une demi-heure en amharique. Depuis, il s'y est ajouté une émission d'une demi-heure en portugais ; de nouvelles émissions sont en préparation. Points faibles L'ATTITUDEde Moscou envers l'Afrique a trois caractéristiques principales qui ne lui gagnent pas nécessairement la faveur des Africains. Tout d'abord, son agressivité à l'égard de l'Occident. Si cette tournure hostile peut lui valoir de la sympathie sur certaines questions précises, les Etats africains parvenus récemment à l'indépendance souhaitent en général rester en bons termes avec l'Occident et se refusent à prendre en permanence une attitude anti-occidentale. En ouvrant la Conférence des peuples d'Afrique à· Tunis le 25 janvier 1960, le président Bourguiba opposait l'attitude de l'Occident à celle du bloc oriental : Pour l'Orient, l'Afrique est un immense réservoir de forces qu'il faut encourager, qu'il faut canaliser, qu'il faut gagner, une bonne carte à jouer dans la guerre froide. Pour l'Occident, c'est encore une source d'efforts et d'inquiétudes 28 • L'Afrique se rend de mieux en mieux compte que !'U.R.S.S. voit dans les problèmes africains avant tout une occasion à exploiter à ses propres fins dans la « coexistence pacifique ». Ensuite vient un élément d'autoglorification nationale de la part de la Russie. Cela peut n'être ~u'implicite dans les déclarations destinées à 1 Afrique ; mais cela devient fort explicite, et parfois criant, dans la documentation à usage intérieur. Ainsi du dossier des explorations russes en Afrique 29 , notamment des expéditions en Ethiopie au XIX8 siècle 80 , qui a été exhumé 28. Radio-Tunis, 25 janv. 196o. 29. M. R. Zabrodskaia : Voyageurs russes en Afrique, Moscou 1957. 30. M. V. Rait : « Expéditions russes en Ethiopie au milieu du x1xe siècle et au commencement du xxe », in Recueil ethnographique de l'Afrique, vol. I, éditions de l'Académie des sciences, Moscou 1956. Biblioteca Gino Bian·co 79 pour le public soviétique. Le ton des comptes rendus sur les travaux du barrage d'Assouan, entre autres, est pénétré d'une intense autosatisfaction nationale. Il est évident qu'il s'agit de cultiver chez les Russes le sens de leur mission en Afrique. Dans un roman sur le Sahara publié récemment, nous apprenons que l'explorateur russe A. V. Iélissiéiev « comprenait si bien les nomades du désert» parce que« l'âme des Russes voit plus profondément dans la nature et qu'elle a des sentiments plus riches que l'âme des autres Européens » 31 • On retrouve là des accents du xixe siècle, ce qui tendrait à prouver que les Russes eux-mêmes ne sont pas à l'abri des faiblesses qu'ils attribuent exclusivement aux « colonialistes occidentaux ». Enfin, les vues soviétiques sur l'Afrique et son avenir procèdent des prémisses idéologiques communistes ; des ouvr~ges tels que L'Afrique regarde l'avenir 32 sont destinés à rappeler que, pour Moscou, les principes de la doctrine soviétique peuvent s'appliquer à l'Afrique aussi bien qu'à l'Union soviétique. 11 est également manifeste que les Soviétiques deviennent de plus en plus agressifs dans leur défense des intérêts du mouvement communiste en Asie et en Afrique 33 • Pareille attitude n'est pas faite pour gagner l'opinion africaine au communisme.. La récente controverse idéologique entre !'U.R.S.S. et la R.A.U., qui faisait suite aux échecs des Soviétiques dans leurs tentatives pour se solidariser avec les nationalismes arabes, montre que ces mouvements ne peuvent être manipulés par-les communistes, et qu'ils peuvent même facilement devenir anticommunistes. Dans le nationalisme africain, du moins sous sa forme présente, la Russie n'a pas un allié sûr. Quant à l'avenir, si les Soviétiques ont un plan, les Africains ont leurs propres idées et ne peuvent être remodelés à volonté. DAVIDL. MORISON. (Traduit de l'anglais) 31. I. Efrémov : • Afaneor, fille d' Akharkellen », in Néva, janv. 1960. 32. I. I. Potekhine : op. cit. 33. Déclaration de Khrouchtchev à une dél~gation de parlementaires de la R.A.U., le 3 mai 1961, citée par RadioLe Caire : « Nous sommes communistes et vous n'êtes pas familiers avec ce mot, mais l'histoire vous l'enseignera», in Summary of World Broadcasts, B.B.C., IV, n° 661.
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