Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

78 au stade actuel. Bref, en tant qu'éléments d'un front africain contre le colonialisme, les pays mograbins méritent l'approbation de !'U.R.S.S.; en tant que partie du monde arabe, où nationalisme et communisme sont des idéologies concurrentes, ils sont j~ugés à une aune différente. LES PAYS de l'Afrique de langue française au sud du Sahara sont de plus en plus considérés comme perdus pour la cause « antiimpérialiste ». Une délégation soviétique gouvernementale assista en avril 1961 aux fêtes qui marquaient l'anniversaire de l'indépendance du Séné... gal et sut, comme il se doit, trouver les mots qu'il faut pour exprimer la sympathie de !'U.R.S.S. envers le Sénégal; mais le correspondant des Izvestia écrivit à son retour que ce pays n'était indépendant que de nom et que le gouvernement était réactionnaire et antidémocratique 26 • Dans la presse soviétique, les États du « groupe de Brazzaville » sont condamnés comme étant des «marionnettes» de l'Occident, alors que le « groupe de Casablanca » est loué en tant qu'il exprime les aspirations véritables des peuples d'Afrique. Il semble que l'Union soviétique considère qu'il vaut la peine de perdre l'amitié du premier groupe tant qu'il reste l'allié solide du second dans un programme commun « anti-impérialiste »; mais cette alliance a deux gros inconvénients. Tout d'abord, quoique dans la cause de la solidarité afro-asiatique !'U.R.S.S. prenne souvent l'identité d'un pays asiatique (les musulmans de l'Asie centrale sont mis en avant en pareil cas), sa position vis-à-vis du mouvement de la Conférence des peuples africains est maintenant très affaiblie : une délégation du comité de solidarité soviéto-afro-asiatique assista à la seconde de ses conférences à Tunis en 1960, mais aucun délégué soviétique n'était présent au Caire en 1961. Ensuite, la tendance croissante à se dissocier de la guerre froide qui se manifeste chez certains pays africains (ainsi qu'ailleurs, dans d'autres Etats non alignés) doit exclure de plus en plus l'Union soviétique de leurs consultations. ·La réserve pincée avec laquelle la presse soviétique accueillit tout d'abord l'organisation par la Yougoslavie et la R.A.U. de la récente conférence à Belgrade ~des pays non alignés (où, notons-le, l'Afrique était très fortement représentée), reflète le mécontentement de Moscou devant les manifestations d'indépendance de la part des jeunes nations. La crise du Congo, qui a amené une cristallisation de l'attitude politique des différents États africains,ta donné lieu à une inquiétante démonstration de la politique du Kremlin. Dès l'origine, celui-ci vit dans la crise et dans le retour des 26. S. Zykov in lzvestia, 24 mai 1961. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL forces J,elges au Congo une occasion de rassembler, sous sa propre égide, l'Afrique entière autour d'une solidarité militante contre l'Occident. Au lieu de prêter appui aux forces des Nations· Unies dans une tâche difficile, le gouvernement soviétique estima qu'il y avait plus à gagner à appeler à l'action en dehors de l'O.N.U., allant jusqu'à agir de son propre chef : Si l'agression contre le Congo se poursuit, le gouvernement soviétique, devant les conséquences dangereuses qui en résultent pour la cause de la paix générale, n'hésitera pas à prendre des mesures décisives pour repousser les agresseurs, qui, c'est maintenant parfaitement clair, sont effectivement encouragés par toutes les puissances coloniales de l'O.T.A.N. 27 • Cependant, il devint rapidement évident que la majorité des États africains soutenaient les Nations Unies. Déçue, l'Union soviétique répondit ,, en déchaînant son courroux contre les forces de l'O.N.U. et surtout contre son secrétaire général. Khrouchtchev força son talent dans une joute que les peuples africains eux-mêmes suivaient avec le plus vif intérêt. Ce ne fut pas la première fois depuis la fin de la guerre que l'Union soviétique se vit obligée de renoncer à l'intervention directe dans une région qui semblait promettre beaucoup. SI Moscou a essuyé là un échec sur le plan politique, sa pénétration culturelle n'en continue pas moins. Nombre d'Etats africains qui entretiennent des liens· économiques avec !'U.R.S.S. ont également conclu des accords culturels, charpente fondamentale pour une influence idéologique. Les accords économiques eux-mêmes prévoient bien souvent la formation en U.R.S.S.. de techniciens africains. De plus, parrainés ou non par leur gouvernement, des étudiants africains se sont inscrits à des universités soviétiques, ce qui a donné lieu à des divulgations spectaculaires sur l'intensité de l'endoctrinement communiste auquel ils sont soumis. Mais il s'agit là d'une initiative soviétique récente et à · long terme, et il est encore trop tôt pour juger du profit que stagiaires et étudiants africains peuvent retirer de leur séjour chez les Russes. Autre trait de l'offensive culturelle : les fréquentes visites en U.R.S.S. de délégations de syndicalistes, de femmes, etc. L'Afrique est inondée de livres, de publications de toute sorte, de films et de tournées artistiques. Des livres récemment traduits en anglais, en français et en arabe comprennent des études sur les principes du marxisme-léninisme; des traductions de livres soviétiques dans les langues africaines ne tarderont sans doute pas à suivre. Les émissions à destination de l' ~rique ont considérablement augmenté. 27. Déclaration gouvernementale du 31 juillet 1960, in Pravda du Ier aoflt.

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