LES NATIONS ET LA SUPRA-NATION par Léon Etnery · LORSQUE le président W. Wilson apporta en Europe, au terme de la première guerre mondiale, son projet d'une Société des Nations, préfiguré par le message des « Quatorze Points », nouvelle Déclaration des Droits des peuples, on eut l'impression que sa pensée procédait non du réalisme anglo-saxon, mais de la philosophie libérale du xv111esiècle, fille de la logique et du juridisme latin. On pouvait chercher des précédents dans le projet d'un << Traité de Paix perpétuelle» de l'abbé de Saint-Pierre, ou bien dans l'idée d'un Contrat social transporté au plan des rapports entre les Etats. Il ne fallut pas longtemps pour qu'on pût mesurer la distance entre la théorie et la pratique. Outre que le statut de la S.D.N. fut naturellement un compromis consacrant en fait la violation des principes, les circonstances firent du nouvel organisme un duumvirat anglo-français. D'où résulta l'évidente conséquence que, lorsque Londres et Paris étaient d'accord, comme il en fut pendant l'éclaircie du locarnisme, la S.D.N. paraissait capable de rendre quelques services, mais que dans tous les autres cas elle était paralysée. Elle tenta de s'élever au-dessus d'elle-même en se comportant en 1935 comme un tribunal international en déclarant l'Italie coupable d'agression contre l'Ethiopie, mais l'inexécution des décisions prises par ceux-là mêmes qui les avaient votées consacra sa faillite. Il ne restait plus qu'à la laisser mourir dans l'ombre. Tel le phénix, elle renaquit à San Francisco après la seconde guerre mondiale, assortie d'une autre Déclaration des Droits qui, plus péremptoirement que jamais, érigeait la démocratie en valeur immuable et absolue. Les circonstances paraissaient, cette fois, bien plus favorables et Biblioteca Gino Bianco les dimensions du pacte permettaient de croire à son universalité ; mais l'on vit reparaître aussitôt une dualité fondamentale qui suffisait à tout bloquer. En bref, l'efficacité de l'O.N.U. supposait, ou bien la nette prédominance des -Etats-Unis, ou bien l'accord entre eux et l'Union soviétique. On le vit bien lorsque les Etats-Unis obtinrent de l'O.N.U., Moscou s'abstenant, un concours réticent et parcimonieux pendant la guerre de Corée, ou mieux encore lorsque l'union des deux grandes puissances fit condamner l'Angleterre et la France qui tentaient de reprendre le canal de Suez. Mais, tant qu'elle est le cha1np clos de la guerre froide entre l'Est et l'Ouest, la seconde S.N.D. s'avère tout aussi impuissante que la première et il n'est personne qui la croie capable de garantir la paix; c'est d'ailleurs en dehors d'elle qu'on tente de négocier. Ainsi les institutions imposantes qu'osa créer notre siècle se dressent pour ainsi dire comme des monuments de. l'avenir et n'engendrent pour . le moment dans les esprits qu'un scepticisme général ; si elles ne sont p~s de pures apparences, on les sent très fail;,les et souvent illusoires ou trompeuses. Il serait trop long d'analyser ou même d'énumérer les causes fortuites de cet échec presque total, mais il faut au moins dégager de l'expérience une conclusion majeure. L'idéalisme universaliste, d'une structure logique et rationnelle, dont nous ne prétendons pas du tout qu'il fut hypocritement manié par des politiciens madrés, (?Stvenu buter sur un monde réel dont il avait très mal apprécié la nature et la consistance. L'extension mondiale et l'exacerbation du nationalisme le plus ombrageux ont coïncidé avec les entreprises du cosmopolitisme juridique, et c'est ce· qu'il convient d'examiner sans parti pris, en ne demandant les lumières qu'à l'histoire contemporaine et aux réalités vivantes.
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