Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

MOSCOU ET L'AFRIQUE par David L. Morison DÈS LA FINde la deuxième guerre mondiale, les Soviétiques ont caressé l'espoir de prendre pied en Afrique. A mainte conférence d'après guerre, ils ont réclamé la tutelle de la Tripolitaine. C'est fondamentalement le même mobile - acquérir une nouvelle sphère d'influence - qui, quoique par des méthodes moins directes, anime aujourd'hui leur politique à l'égard de l'Afrique. Dans l'esprit des dirigeants, il ne s'agit pas simplement de partager avec le reste du monde le droit d'accès au r.ontinent noir ; par leur hostilité agressive envers les relations de l'Occident avec l'Afrique, il est clair qu'ils cherchent à s'assurer pour eux-mêmes et leurs alliés communistes une chasse gardée politique, économique et culturelle, dans les pays africains qui sont libres de choisir leur allégeance int~mationale. Rôle de la « bourgeoisie nationale » DURANTl'immédiat après-guerre, l'Afrique faisait pour les Soviétiques partie des cc arrières du système capitaliste » 1 • La liberté de mouvement des peuples coloniaux était considérée d'abord comme une gêne pour l'Occident capi- · taliste et ensuite comme une occasion d'infiltration communiste, en particulier sous le couvert de diverses organisations camouflées. L'attitude soviétique était alors si imprégnée d'esprit antioccidental et si inhibée par les réserves idéologiques de l'ère sta1iniennequ'elle en était presque entièrement négative et destructive. Les mouvements d'indépendance étaient pris avec des pincettes : tout en reconnaissant leur importance vitale, le Kremlin n'était pas alors disposé à proclamer sa solidarité du point de vue idéologique. La classe moyenne cultivée (la cc bourgeoisie 1. Cf. discours de Jdanov à la séance inaugurale du Cominform en septembre 1947. Biblioteca Gino Bianco nationale » et l' cc intelligentsia nationale») qui dirigeait les mouvements d'indépendance était suspecte, en raison de ses prétendues cc allégeances de classe »; cependant le caractère « anti-impérialiste » de ses buts politiques semblait exiger sympathie et soutien 2 • Bref, aux yeux des Soviétiques, l'Afrique n'avait pas officiellement acquis d'individualité propre. Susciter l'intérêt de la population pour l'Afrique 3 et encourager les études africaines dans les milieux académiques était une chose : mais l'idéologie stalinienne et son hostilité intransigeante à l'égard des mouvements «bourgeois» empêchaient d'apprécier et d'exploiter les réalités politiques du continent africain. Il y avait cependant là un intérêt latent. La conférence d.e Bandoung en avril 1955 fut une dure leçon pour les Soviétiques. Pour conserver quelque autorité, l'anticolonialisme de Moscou devait composer avec le nouveau et puissant mouvement anticolonialiste des Etats indépendants (pour la plupart non communistes) d'Asie et d'Afrique. Il était bien facile aux théoriciens soviétiques de faire ressortir que les « cinq principes» adoptés à Bandoung s'accordaient avec la doctrine léniniste, ou même qu'ils en découlaient 4 ; mais la question de la solidarité idéologique avec les mouvements d'indépendance afro-asiatiques, dans leur forme actuelle, était de nature plus complexe. Dans un article consacré à la conférence, le. Joukov exprimait des craintes: Le mouvement anti-impérialiste et anticolonialiste contemporain en Asie et en Afrique n'est pas un mou2. Le dilemme est clairement exposé par I. I. Potekhine : << La théorie stalinienne de la révolution coloniale et le mouvement de libération coloniale en Afrique tropicale et en Afrique australe », in Ethnographie soviétique, 1960, n° 1. 3. Pour une bibliographie des livres sur l'Afrique publiés en Union soviétique durant cette période, cf. Les Peuples d'Afrique, Moscou 1954, p. 665. 4. Cf. V. Dourdenevski : • Les cinq principes », in International AJfairs, 1956, n° 3, pp. 45-50.

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