Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

74 vement uniforme de masses à l'esprit révolutionnaire. En font également partie des gens opposés aux mesures révolutionnaires 6 • Il n'en demeurait pas moins que les pays africains s'acheminaient vers l'indépendance par des méthodes non révolutionnaires sous la direction d'une « bourgeoisie nationale » ; et au moins un observateur soviétique était prêt à l'admettre ouvertement. I. I. Potekhine., le spécialiste sovié- . tique de l'Afrique le plus compétent, affirmait, dans un article de juin 1955.,que si l'installation de gouvernements nationaux en Gold Coast, en Nigeria et au Soudan n'équivalait pas à une véritable indépendance, elle représentait cependant des « concessions de la part des colonialistes » qu'~l ne fallait pas sous-estimer 6 • Quelque neuf mots plus tard, passant en revue la situation politique générale en Afrique, il saluait la naissance de nouveaux États au Soudan, en Tunisie et au Maroc comme d'authentiques victoires po~r les mouvements d'indépendance « pannationaux » de ces pays., en même temps qu'il enregistrait les succès des autres mouvements d'indépendance sur le continent noir 7 • Il est significatif que, dans cet article, Potekhine faisait un sort à part à la question de la classemoyenne. Les puissances coloniales, disait-il, s'efforcent d'encourager et de se concilier cette dernière en tant qu' << élément stabilisateur »; mais en réalité les buts politiques de la bourgeoisie nationale en ont fait une force anti-impérialiste. En ce sens, le décor était déjà planté pour un accommodement entre le communisme soviétique et le nationalisme africain non communiste. On considère généralement le xxe congrès du P. C. de l'Union soviétique en février 1956 comme le tournant de l'attitude soviétique envers le « nationalisme bourgeois » ; mais il ne faut pas perdre de vue que non seulement cette attitude s'était déjà modifiée quelque temps avant, mais que toute rupture radicale de la ligne du Parti fut niée dans les explications qui suivirent. C'est ainsi qu'une déclaration officiellesoviétique soulignait que ce n'était pas « la diplomatie des dirigeants bourgeois » qui avait arraché des concessions aux colonialistes, mais cc la pression des ~asses po~ulaires » 8 • Çela pour rappeler que s tls pouvaient reconnaitre temporairement le rôle « libérateur » anticolonialiste des dirigeants «national-bourgeois », l'Union soviétique et le Parti considéraient toujours le prolétariat comme la force politique déterminante. Néanmoins, pour ce qui est de l'Afrique, le terrain était déblayé pour une exploitation par les Soviétiques des 5. (< La conférence de Bandoung des pays africains et asiatiques », in International Affairs, 1955, n° 5, p. 32. 6. « Le mouvement anti-impérialiste dans la colonie de la Gold Coast», in Orientalisme soviétique, 1955, n° 2, p. 62. 7. « La situation politique dans les pays d'Afrique », in Orientalisme soviétique, 1956, n° 1, p. 36. 8. Article de tête in Orientali.çme soviétique, 1956, n° 1, p. 9. Biblioteca Gino Bianco ,. LE CONTRAT SOCIAL occasions politiques ; une politique africaine commença à prendre forme et une révision générale de toutes les forces politiques importantes de l'Afrique fut entreprise. Les thèses en présence s'affrontent toujours et traduisent bien des inquiétudes et préoccupations. Avant tout., il est évident que, malgré l' « adoucissement » de l'attitude soviétique devant les exigences de la situation., il ne faut attendre aucune concession importante ou permanente de l'idéologie soviétique appliquée à l'Afrique. Unité africaine et nationalisme DANS leurs prises de position sur l'Afrique, les Soviétiques ne manquent pas d'en appeler à l'unité de tous les peuples africains face au colonialisme; mais s'ils prônent l'unité d'action, ils font des réserves quant à l'unification territoriale. Toute union., affirment-ils, doit être un «groupement volontaire de peuples » et ne pas se faire dans la précipitation. L'histoire des mouvements d'unification dans les pays arabes leur a visiblement servi de leçon et une mise en garde de Khrouchtchev contre les unions prématurées et forcées (il s'agissait des visées annexionistes de Nasser à l'égard de l'Irak) a été soulignée comme étant applicable à l'Afrique 9 • Il est clair que l'union en elle-même ne servirait aucun dessein particulier des Soviétiques et pourrait même signifier qu'un pays à l'orientation politique prometteuse entrerait dans une sphère d'influence moins favorable au Kremlin. Le panafricanisme en tant qu'idéal et mouvement est peu prisé par Moscou. Il a commencé par être un mouvement pan-Noir et ces antéc~dents américains ne sont pas faits pour le faire aimer des Russes. En effet, ces derniers affirment à présent que la lutte contre le colonialisme exige l'unité de toutes les races d'Afrique, non pas seulement celle de la race négroïde. Selon eux, l'Afrique peut à juste titre affirmer sa propre «,pers?nnalité africaine », mais cela ne doit pas 1 mdutre à donner dans une sorte de racisme africain, ni à rejeter la culture occidentale. Et de ·souligner que les peuples africains ont toujours été sout~nus par la classe ouvrière et les partis commurustes du monde entier. Il est évident que transparaît la crainte qu'une hostilité de la part des Africains envers tout ce qui vient d'Europe ne compromette gravement les chances de l'infl~ence communiste . en Afrique. Le panislanusme, le pantouranisme et le panarabisme, en tant qu'idéologies qui engendrent des fidélités raciales ou religieuses exclusives et bannissent , 9. I. I. Potekhine: L'Afrique regarde l'avenir, éditions de littérature orientale, Moscou 1960, p. 61. Cet ouvrage est la source essentielle des références qui vont suivre concernant. l'attitude.soviétique à l'égard de l'Afrique. Pour plus de détails sur les publications soviétiques mentionnées ici et les cour~ts actuels des é<:1'its soviétiques sur l'Afrique, cf. The Mizan N ewsletter, édité par le Central Asian Research Center, Londres.

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