Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

60 que ceux-là. « Quel est l'individu qui n'a pas à la bouche le mot être ? » demandait Hegel. De toute manière, cet individu-là n'est pas M. Axelos : l'Etre est constamment dans sa bouche, associé avec le devenir et accouplé avec la totalité dont il est dit tantôt qu'elle est « fragmentée », tantôt qu'elle est « ouverte », suivant l'humeur du moment. « 11faut penser l'être en devenir de la totalité », proclame inlassablement M. Axelos qui ne craint visiblement pas la répétition, mais qui ne semble guère disposé à préciser de quelle totalité il s'agit. On pense encore une fois à Hegel : « Il ne suffit pas de dire : tous les animaux, pour faire une zoologie.» Mais Hegel était postsocratique et demeure pré-planétaire. On pourrait dire aussi qu'il faut penser le devenir de l'être de la totalité ou la totalité du devenir de l'être, tant il est vrai que seul le hasard a présidé . à la formation du ménage à trois qui constitue l'alpha et l'oméga de la pensée « planétaire ». Mais on aurait tort de croire qu'il ne s'agit là que d'un simple (et ennuyeux) canular pataphysique. 11 y a on ne sait quoi de menaçant dans ces phrases « terriblement sobres» -:- et Marx en fera les frais. Dans la pensée de leur auteur, l' « être en devenir de la totalité », l' « horizon de la mondialité », etc., forment le critère essentiel qui lui permeJ de prendre ses distances par rapport à tout ce qui a été produit pendànt les vingt-cinq siècles qu'a duré le malentendu postsocratique. Par exemple, « la totalité dont il est question chez Lukacs n'est pas l'être en devenir de la totalité du mo!lde », dit-il d'un ton sévère, en feignant de croire que ces termes vides et manipulés à l'aveuglette désignent autre chose que la seule marotte de leur auteur. La pensée de Lukacs, dit-il aussi, « n'est pas une pensée fragmentaire de la totalité ouverte», et s'il souligne ces termes pseudo-bizarres, ce n'est que pour montrer la limitation. du malheureux Lukacs par rapport à son traducteur. La seule « pensée fragmentaire de la totalité ouverte » de lui connue (de nous également) étant bien la sienne propre, on ne peut qu'admirer l'extrême délicatesse·aveclaquelle c~ présocratique a sû parler de lui-même... Mais ce_n'est pas tout. Lukacs se voit reprocher un autre péché capital : « Séparant rigidement la v~rité de l'errance, il manque d'horizon planétaire... » Du moment que l' « horizon planétaire » sert de trait d'union entre la vérité et l' « errance », on imagine sans peine quel fut le drame de Marx (p. 145) : ~ La parole d'Héraclite : « Tout est Un », et la pensée de Parménide : cc Penser et Etre sont le même », n'arrivent plus à se frayer un chemin d'accès jusqu'à lui. D'après Marx (sic), il n'y a point de Logos de l'être un de la Totalité, et la pensée répète seulement l'activité de l'être, non pas de l'Etre, mais de l'être humain réel .•• Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Comment Marx a-t-il pu tomber si bas? Comment a-t-il pu ignorer qu'il y a Un Logos, Un, « de l'être un de la Totalité»? Qui l'eût cru? Lorsqu'on lit de telles drôleries (et elles sont légion, car ce présocratisme de pacotille nous guette à chaque page), il faut savoir que le Marx dont il est question dans ces exercices de style heideggériens n'est pas du tout le Marx de la Critiquede l'Economiepolitique, l'auteur du Capital, l'historien des théories de la plus-value.,l'analyste du 18 Brumaire, celui qui a salué la Commune comme « la forme enfin trouvée de l'émancipation des travailleurs». Les problèmes bassement « ontiques » qui furent ceux de Marx n'existent pas pour M. Axelos. On ne voit d'ailleurs pas comment ils pourraient « se frayer un chemin» jusqu'à lui. Le seul Marx qu'il connaisse est une espèce de Golem philosopha! construit avec les brouillons de 1844, et encore mal lus, parlant, ou plutôt psalmodiant l'idiome du sage de la Forêt-Noire, n'ayant d'autre « fonctionnelle fonction» que de servir de prétexte aux vaticinations « planétaires » de son « terrible » exégète. Et dans ce bouillon de culture empéd(?cléenoù... ...Beaucoup de têtes poussaient sans cou Et des bras détachés erraient sans épaules Et des yeux flottaient, solitaires et sans front ••• Marx devient « penseur de la technique ». Si M. Axelos voulait vraiment traiter sérieusement son sujet, il aurait dû tout d'abord lire Hegel, chez qui on trouve les éléments de la philosophie de la technique, appauvrie plutôt qu'enrichie par le jeune Marx. Mais Hegel est difficile et, malgré tous les laborieux efforts de MM. Kojève et Queneau, supporte mal le délire d'interprétation. Si M. Axelos avait voulu exposer ou discuter les idées de Marx sur la technique moderne (ce qui n'a rien à voir avec « Marx penseur de la technique »), il aurait dû centrer ses méditations sur les admirables développements du Livre I qu Capital, ce qui aurait comme premier résultat de l'amener à mettre un peu d'ordre dans ses idées. Mais le Capital est difficile : pour le discuter il faut autre chose que « le Logos de l'être un de la Totalité ». Il aurait dû aussi connaître les Grundrisse de la Critique de l'Economie politique, où l'on trouve des anticipations du . plus haut intérêt sur la technique, l'automation, etc. Mais M. Axelos, qui croit nécessaire de nous « rappeler que nous manquons toujours d'une bonne édi1âon critique des œuvres réellement complètes de Marx»_ (p. 310), ne semble pas connaître l'existence des Grundrisse: en tout cas, ceux-ci ne sont pas même mentionnés dans sa bibliographie des œuvres de Marx (pp. 311, 312). Il aurait fallu aussi savoir lire, apprendre à lire et citer sans délirer. Ce qui nous épargnerait, par exemple, les graves méditations sur « -la

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