Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

K. PAPAIOANNOU déclare Marx sur le mode extatique, constituent le véritable fondement de ce que les philosophes se sont représenté comme " substance " ou " essence " de l'homme 38 • » Comme l' « essence ». ou la « substance » de l'homme est de combattre réellement, non «mythiquement » la nature, l'industrie n'est rien de moins que la « révélation exotérique des forces essentielles de l'homme » 39 • L'industrie est le lieu où se révèlent l' « essence » de l'homme et les forces véritables dont celle-ci est douée. Aussi bien, l'histoire « réelle », celle qui se déroule sous le signe de l'économique et du technique, n'est-elle pas quelque chose d'extérieur à ce qu'il est convenu d'appeler la vie intérieure de l'homme. bien au contraire : L'histoire de l'industrie et l'existence objective atteinte par l'industrie sont le livre grand ouvert des forces essentielles de l'homme, la psychologie humaine devenue matériellement sensible 40 • Loin de relever d'un simple « économisme », qui introduirait comme du dehors le «facteur économique >>dans l'explication des phénomènes sociaux, le marxisme se présente initialement comme une lecture du «Livre» des forces essentielles, comme l'élucidation de la véritable « psychologie» de l'homme. L'âme qui ne sait pas lire la Bible de l'industrie, ce liber vivus de l'essence humaine, se voit fermer les chemins qui la conduisent à la connaissance d'elle-même et de sa « vraie vie » : plus d'évidence «matérielle et sensible » en faveur de ses « forces essentielles », plus de ces « révélations exotériques » qui nous permettent de lire à travers les machines et les objets manufacturés la transparente épopée de notre «réalisation». Toute psychologie, ajoute Marx comme pour rendre encore plus redoutable le nouveau titre çonféré à l'industrie ... •..toute psychologie pour qui ce livre, c'est-à-dire la partie la plus matériellement perceptible et la plus accessible de l'histoire, est fermé, ne peut devenir une science réelle, véritable, substantielle. Marx savait pertinemment combien ses vues étaient en contradiction avec les conceptions traditionnelles de la « psychologie ». Sa théorie de l' « aliénation s:eirituelle » et de la fausse conscience « idéologique » a précisément pour but d'éliminer les idées fausses que les hommes se sont faites de leur condition réelle et de leur véritable dignité. Plus qu'une sociologie, la théorie marxienne de l' « idéologie >> est une anthropologie, pour ainsi dire négative, qui veut réduire l'homme à ses « vraies » dimensions et éliminer tout ce qui n'en est pas, à commencer par la religion et en passant par le « reste de l'idéologie ». Autrement dit, son but est de disqualifier les valeurs traditionnelles, de dénoncer 38. DI, p. 35 (VI, 185-86). 39. NPh, p. 193 (VI, 35). 40. Jl,id., p. 192 (VI, 34). Biblioteca Gino Bianco 51 l' « évasion » de l'esprit hors de l'activité pratique tenue pour la source de toute vérité et de toute valeur authentiquement humaine, et de montrer que dans les diverses sphères extra-économiques, la religion, la politique, la philosophie, « etc. », l'homme «s'aliène>>et mène une existence étrangère, sinon hostile à sa véritable « essence ». Ainsi peut-il déplorer que... ... jusqu'à ce jour, l'industrie n'ait pas été considérée dans sa connexion avec l'essence de l'homme, mais uniquement dans une relation extérieure d'utilité. Si l'on a méconnu l'éminente dignité de l'industrie, si on l'a traitée comme un phénomène utilitaire - ce qui constitue, aux yeux de Marx, un véritable renversement des valeurs, - c'est parce qu'on « se mouvait à l'intérieur de l'aliénation » et qu'on pensait donc à l'intérieur d'un monde absurde, perverti, « renversé », où l'homme mène une existence « aliénée », en opposition absolue avec son « essence ». « Essence » et « existence » LE TRAVAIL est l'essence de l'homme, mais l'aliénation capitaliste condamne ce dernier à une existence contraire à son essence, le contraint à << faire de son essence [du travail] un moyen pour assurer son existence » 41 • Cette perversion des finalités intrinsèques à l'essence humaine aboutit à cette humiliation suprême que la vie productive n'est pas assumée comme une fin en soi, mais seulement comme un moyen, que l'homme se présente comme l'être foncièrement déchiré « qui ne se sent auprès de soi que seulement en dehors du travail, tandis que dans le travail il se sent en dehors de soi ». Ce monde où l'homme ne peut « exister » qu'en dehors du travail, bien qu'il soit essentiellement travailleur, est un monde qui renverse les véritables valeurs et « produit une conscience renversée du monde » : la religion 42 , « ainsi que le reste de l'idéologie ». Ce monde est la « caricature » de la véritable humanité, et l'homme qui pense à l'intérieur de ce monde caricatural a nécessairement une conscience fausse de soi. Si, par exemple, on n'a pas étudié l'industrie « dans sa connexion avec l'essence de l'homme», c'est que, « se mouvant à l'intérieur de l'aliénation», la conscience mystifiée était incapable de saisir correctement l'essence humaine, condamnée à identifier « la réalité des forces essentielles de l'homme et ses actes génériques » avec « son existence spirituelle-universelle 43 , la religion, ou 41. Nph, pp. 146 sqq. 42. Introduction à la critique de la Philosophie d11 droit de Hegel; Die Frühschriften, p. 208 (1, 84). La • camera obscura » de l'id~ologie où « tout est mis sens dessus dessous • (Dl, 28 ; VI, 157) est la forme la plus g~n~rale de cette « conscience renvers~e du monde ». 43. Cc terme d~signe le • monde spirituel•· Cf. NPh, 254 (VI, 81). Il va de soi que le jeune Marx emploie cc terme dans un 1en1 purement p~joratif.

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