• P. BARTON janv.-mars 1958). Ce rmrumum de certitude, sans lequel le prolétaire deviendrait un clochard, les ouvriers soviétiques furent censés le tirer désormais, dans une mesure importante, de leur propre production de nourriture. (L'allocation d'une parcelle était évidemment liée à l'emploi dans une entreprise publique.) La transformation des assurances sociales en moyen de pression sur les salariés, inaugurée en 1933 par la fusion du commissariat au Travail avec le Conseil central des syndicats, découlait du même principe. C'est par cette déformation du salaire que s'expliquent l'absence dans la politique des salaires de tout respect du minimum vital et la réduction du salaire réel à laquelle procède le pouvoir soviétique chaque fois qu'il a besoin de capitaux supplémentaires. Par exemple, les sources officielles elles-mêmes avouent qu'en 1947 encore le salaire moyen était maintenu à un niveau correspondant à 50 ou 60 % de sa valeur réelle de 1940 (S. Figournov : « Formes fondamentales de l'augmentation du salaire réel», in Sotsialistitcheski Troud, 1959, n° 5). Or la grande élasticité du capital variable (rémunération du travail) est l'un des principaux facteurs de la croissance économique de !'U.R.S.S. Résultat de la dépression de 1932-33, la déformation du salaire ne fut cependant pas un palliatif temporaire. Certaines améliorations furent apportées à la condition ouvrière après la reprise, au cours des années 1936-38 : les syndicats furent de nouveau autorisés à s'intéresser à la situation matérielle des travailleurs ; des élections aux comités d'entreprise eurent lieu; l'examen des plaintes des ouvriers devint un peu moins désinvolte ; le salaire réel augmenta sensiblement (cf. notre article « La législation du travail en U.R.S.S. », in Contrat social, sept. 1958). Mais ces changements ne portèrent pas atteinte aux nouveaux principes du salariat. Le mouvement de Stakhanov fut lancé à l'automne de 1935 et l'intérêt des syndicats pour les conditions de vie des travailleurs devait se concentrer sur les stakhanovistes ; de même, en s'intéressant de nouveau aux salaires, les syndicats devaient surtout apporter leur concours à l'augmentation des normes de rendement (diminution du prix à la pièce), lesquelles s'inspiraient des performances des stakhanovistes. Les récompenses accordées à ceux-ci jouèrent à coup sûr un rôle qui ne fut nullement négligeable dans l'accroissement de la moyenne statistique du salaire réel. Malgré son relèvement, le salairemoyen demeura bien au-dessous de ce qu'il avait été avant la campagne d'industrialisation. Voici les indices calculés par lasny (qui, de toutes les estimations faites au sujet du salaire réel, semblent serrer la réalité de plus près) : 100 en 1928, 49 en 193233, 55 en 1936, 60 en 1937, 52 en 1940 (p. 446). Pendant ce temps, l'éventail des salaires se déployait considérablement ; rien qu'entre mars 1928 et octobre 1934 - donc avant l'apparition Biblioteca Gino Bianco 29 du stakhanovisme, - 40 % des ouvriers et employés qui se trouvaient au bas de la pyramide virent tomber leur part dans la masse globale des salaires de 22 à 20,6 %, alors que celle revenant aux 20 % placés au sommet passait de 37 à 40,3 % (Abram Bergson : The Structure of Soviet Wages, Cambridge, Mass., 1954, p. 122). Aussi les activités agricoles des ouvriers industriels jouèrentelles, après comme avant, un rôle énorme. En 1937, leur apport à l'approvisionnement total des villes s'éleva à 33 °/4 environ pour la viande fraîche et les œufs, 50 % pour les pommes de terre (Iasny, pp. 222-23). La proportion de ces denrées dans l'approvisionnement des familles ouvrières qui les produisaient fut même, comme il va de soi, plus importante. Autant dire que, pour la grande masse des ouvriers industriels, l'activité agricole devint un élément substantiel de sécurité matérielle et que le travail à l'usine demeura en définitive un amalgame du salariat et de la corvée. L'accroissement du salaire réel au cours des années 1936 à 1938 est considéré par Iasny (p. 181) comme un effet de la grande purge (souci marqué par le régime de convaincre les travailleurs que la liquidation des « saboteurs ,> correspondait à leurs intérêts). Sans contester l'existence de facteurs politiques, on peut trouver au phénomène des raisons proprement économiques. Les efforts pour ouvrir l'éventail des rémunérations, poursuivis avec énergie et esprit de suite depuis 1931, se heurtèrent à des obstacles insurmontables du fait de la chute simultanée, ou antérieure, du salaire réel. Les principes devant présider à la réorganisation des assurances sociales, afin d'en faire une source de privilèges pour les uns et de mesures discriminatoires à l'encontre des autres, principes clairement formulés dès juin 1933, ne purent eux-mêmes entrer entièrement en vigueur avant la fin de 1938. A plus forte raison cette politique fut-elle entravée dans le domaine du salaire proprement dit. Lors du lancement du stakhanovisme, les ouvriers les plus mal payés gagnaient si peu qu'on ne pouvait pas réduire davantage leurs salaires. De là vient que les libéralités consenties aux stakhanovistes pour stimuler l'accroissement du rendement entraînaient forcément un relèvement du salaire moyen. Il n'est, pour comprendre l'importance attachée à l'encouragement au rendement, que de constater que celui-ci fut probablement le vrai talon d'Achille de l'économie soviétique. Selon Colin Clark, la productivité du travail alla décroissant de 1928 à 1932 et ne retrouva qu'en 1936 - première année du relèvement du salaire réel - son niveau antérieur à la campagne d'industrialisation. Converti en milliards de dollars, le produit national net représentait 43,1 en 1928 ; 45,6 en 1929 ; 45,9 en 1930 ; 47,2 en 1931 ; 47,7 en 1932 ; 44,9 en 1933 ; 48,7 en 1934 ; 52,5 en 1935 ; 58,9 en 1936 ; 64,9 en 1937 ; 65,3 en 1938. Divisés par le nombre d'heures de travail effectivement accomplies par l'ensemble des indi-
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