28 La collectivisation forcée se transforma vite en assaut général dans tous les secteurs de l'économie. Le but déclaré était de faire de !'U.R.S.S. un pays industriel, pour ainsi dire du jour au lendemain. Le résultat fut catastrophique : arrêt complet de la croissance, ou même fléchissement, de la production industrielle et des transports ; diminution de la production agricole et du revenu national ; famine; sacrifice de millions de vies humaines. «Idéologiquement», l'adoption du plan annuel, en janvier 1933, mit fin à cette seconde phase. Mais en réalité les premiers signes de rétablissement n'apparurent qu'au cours de la deuxième moitié de 1933. La troisième période, qui s'étala sur les années 1934-1936, se signale par un relèvement considérable des taux de croissance dans tous les secteurs, à l'exception de l'agriculture et du commerce de détail. Le prix en fut le maintien d'un niveau de vie extrêmement bas pendant les années 1934-1935 pour les ouvriers, et pendant la période entière pour les paysans. Les années 1937-1946 furent marquées, malgré les investissements qui prirent un volume impressionnant, par un ralentissement très sensible de l'expansion (que Iasny attribue surtout aux effets paralysants de la grande purge), mais aussi, du moins au début, par un relèvement passager des salaires réels et des revenus des paysans. En ce qui concerne la période de guerre, l' évolution n'a pas été examinée. L'après-guerre se distingue des années 30 par une accélération notable de l'expansion économique, particulièrement dans la production de l'acier et des armements. Le moteur en fut l'appropriation par l'État d'une énorme partie du revenu national et son utilisation aux fins d'investissement ; son prix, la ruine de l'agriculture et une compression radicale de la consommation privée. * )f )f POUR JUGER de la solidité d'une périodisation, il ne suffit pas de constater que l'analyse s'appuie sur un critère objectif. La pertinence de celui_-cin'est pas moins importante. La netteté des différences entre les étapes successives ne nous dispense pas de mettre la périodisation proposée à l'épreuve de phénomènes qui n'ont pas été pris systématiquement en considération par son auteur. Un examen des vicissitudes de la condition ouvrière, dont Naoum Iasny ne retient que le côté quantitatif - effectifs salariés, rémunération, coût de la vie, - semblera en ce sens particulièrement concluant. Sans suivre la même courbe que l'industrialisation, ces vicissitudes lui sont intimement associées. La dépression de 1932-1933 par laquelle s'achève, selon la périodisation de Iasny, la seconde phase de l'industrialisation, entraîna un change- .., ibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE ment radical dans le salariat. A ce jour, les chercheurs s'étaient penchés avant tout sur deux aspects de cette transformation : l'aggravation de la contrainte administrarive et l'appauvrissement rapide des ouvriers. Sur la première question, on possède notamment les analyses magistrales de Boris Souvarine ( Staline, Paris 1935, pp. 48284) et de Leonard E. Hubbard ( Soviet Labour and Industry, Londres 1942, pp. 61-62) ; quant à la seconde, les indices établis par S. N. Prokopovitch (Russlands Volkswirtschaft unter den Sowjets, Zurich 1944, pp. 306-308) avec le maximum d'exactitude pourront dorénavant subir d'utiles révisions grâce à une foule d'éléments nouveaux, rassemblés dans l'ouvrage de N. Iasny (pp. 167-73). Des changements moins spectaculaires, mais d'importance égale, ne manquèrent pas. C'est le cas, en premier lieu, de l'accroissement des activités agricoles des travailleurs employés dans les industries urbaines. Du point de vue quantitatif, ce fut un facteur« favorable» (Iasny, p. 171) puisqu'il permit aux ouvriers d'augmenter leur maigre revenu. En fait, le décret du 25 décembre 1933, qui accorda le concours de l'Etat aux salariés désireux de se procurer jardins et potagers individuels, fut une des principales mesures visant à introduire dans le salariat certaines formes de la corvée. La valeur réelle des salaires avait diminué à un tel point que les ouvriers ne pouvaient plus vivre de ce qu'ils gagnaient. Des parcelles leur furent alors allouées, qu'ils devaient exploiter en y travaillant le dimanche et en y faisant travailler femmes et enfants. Ainsi devaient-ils couvrir eux-mêmes une partie de leurs besoins alimentaires. Selon les données réunies par Prokopovitch (Histoire économiquede l' U.R.S.S., Paris 1952, pp. 422-23), les travailleurs des charbonnages s'assuraient de cette façon, en 1934 déjà, 41 % de leur consommation en pommes de terre, 12 % en légumes, 8,7 % en céréales et 43 °/4 en lait. Le salaire se détacha ainsi, en partie du moins, du coût d'entretien de la main-d'œuvre. Du même coup, il se rapprocha sensiblement d'une so,rte de prime au zèle 3 • Par des modifications apportées au Code du travail le 10 juin 1934 fut supprimée la paie minimale, garantie jusque-là au travailleur rémunéré aux pièces qui n'arrivait pas à obtenir le rendem~nt prévu. En d'autres termes, le salaire aux pièces, généralement pratiqué dans l'industrie soviétique, perdit ses attaches avec le salaire calculé au temps, dont il n'est normalement qu'une forme spéciale, forme aménagée de manière à stimuler le rendement sans enlever pour autant à l'ouvrier un minimum de certitude matérielle (cf. notre article « La condition du travail en Union soviétique », in Saturne, 3. En 1955, le président du Conseil des ministres de !'U.R.S.S. déclara expressément qu'il ne fallaït pas fixer les normes de rendement en partant du souci d'assurer à l'ouvrier sa consommation : cela freinerait les efforts pour augmenter la productivité (Pravda, 17 juillet 1955).
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