Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

E. DELIMARS Novgorod et exprimée par l'affirmation démodée : « La joie de la Russie est de boire, sans cela nous ne pouvons pas vivre. » Cette réponse légendaire, faite vers l'année 989 par Vladimir, grand-prince de Kiev, à la mission musulmane venue pour proposer à ce païen de se convertir à l'islam, a lourdement pesé pendant des siècles sur la vie de la Russie. Sous le régime soviétique, cette répartie n'est pas si démodée et continue de trahir une véritable plaie sociale. Cinq autres personnalités, dont Malinovski et Biélodied, signalent cet abus des boissons fortes chez les jeunes. Trois autres mentionnent l'adoration de tout ce qui vient de l'étranger et l'imitation de la « jeunesse dorée» occidentale. Isakovski regrette que cette idolâtrie « ne concerne point les valeurs réelles, matérielles et spirituelles, créées à l'étranger, mais seulement toutes sortes d'oripeaux, de · camelote ». Les artistes, en contact avec des éléments un peu plus raffinés que les autres, parlent de « l'indifférence ou même de la paresse qui s'observent chez les jeunes trop gâtés par leurs parents bien nantis » et du scepticisme juvénile. V. N. Pachennaïa, artiste du peuple de !'U.R.S.S. qui a consacré cinquante années de sa vie de théâtre à former de jeunes artistes, constate que, dans la jeunesse soviétique, entre « ceux qui vont droit dans la vie avec un cœur ardent, qui se sentent maîtres de leur pays et le transforment » et « les parasites, cette lie de notre société », existe toute une couche de jeunes qui. .. ...ont perdu tout intérêt dans la vie, qui ont décidé qu'ils savent déjà tout ce qu'il y avait à connaître et pour lesquels l'unique chose ayant quelque valeur est leur propre personne... Quel choc déplaisant que de rencontrer ces yeux vagues qui regardent le monde avec dédain : l'homme n'a pas encore vingt ans, mais il est déjà « fatigué de la vie », il est plus « sage » que tous les centenaires et rien ne peut l'étonner ou le ravir. Il a peur de laisser paraître ses sentiments, il affiche son scepticisme et se retranche derrière des phrases telles que « le rythme insensé de notre temps ». Il devient tout naturellement une créature inintelligente et insensible, avec des sentiments et des paroles affectés et factices. Pareil individu n'aime rien ni personne, sauf lui-même. Pour lui il n'existe aucune autorité, il oublie le respect d'autrui et les règles élémentaires du comportement : ses sentiments deviennent tellement rudes qu'il ne se rend même pas compte qu'il offense quelqu'un ou, s'il s'en rend compte, il ne l'avoue jamais. A ce beau portrait d'une variété existentialiste de l'homo sO'lJieticus, N. P. Akimov ajoute un autre trait important : Je constate un certain décalage dans la définition de l'Age des jeunes. De mon temps, on parvenait à l'Age de raison ven 17-19 ans, alors que maintenant il faut attendre 23-25 ans ... Infantilisme prolongé qui est trà nuisible. Dans certains cas, individuels mais trb fréquents, ce manque de maturité engendre un nihilisme puéril : • Si mon professeur dit des inepties, pourri11ele monde entier... • Biblioteca Gino Bianco 23 Quelques autres témoignages font aussi douter du décalogue des qualités de la jeunesse soviétique. L'écrivain M. Ketlinskaïa, de Léningrad 3 , signale que les traits négatifs fréquents chez les jeunes sont... ...le manque d'initiative, de persévérance, l'absence de courage civique ... Les jeunes attendent trop souvent que l'Etat organise et finance les entreprises qu'ils peuvent parfaitement monter eux-mêmes avec leurs propres moyens. Est-il vraiment indispensable de rétribuer un personnel spécial, des surveillants de dortoirs et des organisateurs professionnels de loisirs, pour tenir propres les logements collectifs et y créer une ambiance gaie ?... Bien des jeunes, en apparence fort dignes, cherchent à ménager leurs relations. Ils craignent de critiquer les défauts d'autrui, car cela peut indisposer quelqu'un et compliquer leur 'propre vie. Il existe toute une couche de jeunes égoi'.stes, désorientés et vides, dont le mot d'ordre est: « Vivre au jour le jour, pourvu que l'on s'amuse. » ••• Je plains particulièrement les jeunes filles qui participent à leurs parties : leur honneur virginal doit se révolter devant le rôle lamentable qui leur est dévolu dans ce milieu. Nous avons déjà cité la lettre d'une ouvrièreétudiante de dix-neuf ans qui dépeint le profond traumatisme moral qui peut être infligé par des jeux de cette espèce 4 • I. Soloviev, héros de l'Union soviétique, qui pendant onze ans fut à la tête de la police de Léningrad, affirme que... ...l'égotisme est le plus fréquent et le plus dangereux défaut des jeunes. Il est la source de leur nihilisme, de leur tendance à l'originalité, de leur présomption, de leur recherche des moyens faciles pour prospérer aux dépens de leurs parents ou de la société, de leur rejet des concepts moraux (Kom. Prav., 28 avril 1961). Tous ces défauts ne cadrent guère avec le décalogue des belles qualités de la jeunesse soviétique auquel l'enquête de la Komsomolskaïa Pravda a abouti. La propagande communiste répète sans cesse que ces traits négatifs n'existent que chez une fraction infime de cette jeunesse, que celle-ci est saine dans son ensemble, ardemment dévouée au Parti et respectueuse de ses décisions. Mais alors, pourquoi les autorités sont-elles contraintes de doubler la milice de « détachements de volontaires », afin d'assurer tant bien que mal le maintien de l'ordre dans la rue et de garantir la tranquillité des citoyens ? S'il ne s'agit que d'une minorité insignifiante de délinquants, pourquoi est-il nécessaire depuis trois ans de faire patrouiller ces détachements chaque soir dans toutes les localités tant soit peu importantes? Dès 1959, il existait à Léningrad 1.327 de ces détachements, avec un effectif total de 90.000 membres,hommes et femmes, en majeurepartie 3. KonuomolsltaraPravda, 28 avril 1961. 4. Cf. Contrat social, nov.-d~. 1961, p. 34S•

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