Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

22 Tous les correspondants soulignent également un autre trait marquant de la jeune génération, le patriotisme. Le renouveau de l'amour de- la patrie chez les jeunes, tout comme dans l'ensemble de la population, qui n'a pas oublié les horreurs et les épreuves de la dernière guerre, est sans cesse exacerbé par la propagande, qui campe une Union soviétique pacifique et laborieuse, encerclée d'ennemis prêts à fondre sur elle. La menace principale d'une nouvelle guerre est condensée pour les Soviétiques dans la renaissance de la Wehrmacht, travestie en Bundeswehr. Les touristes capables de converser en russe avec l'homme de la rue sont unanimes à constater chez les Soviétiques une crainte intense de l' Allemand, haï autant que redouté. Le danger allemand est sans doute l'unique thème des discours de Khrouchtchev qui trouve toujours une résonance profonde dans l'ensemble de la population. Mais ce « grand amour de la patrie $Oviétique » est avant tout l'amour de la patrie tout court, car seuls les officiels - le maréchal Malinoski, le ministre Biélodied et_Orlovski, héros de l'Union soviétique et du travail socialiste - signalent chez les jeunes « l'amour du parti communiste et la fidélité à sa doctrine ». Pourtant, la propagande de Moscou affirme que cet amour et cette fidélité doivent être les qualités premières de chaque citoyen, de chaque membre du « bloc des communistes et des sans-parti », qui depuis tant d'années vote comme un seul homme à toutes les élections. Quant à l'esprit collectiviste, autre qualité indispensable de l'homme soviétique nouveau, il . n'est mentionné que par le maréchal Malinovski et par Nina Doumbadzé. Ces deux personnalités jugent certainement en se fondant sur deux catégories bien spéciales : le premier sur la jeunesse des forces armées, la seconde sur les sportifs. Or, partout dans le monde, et non pas seulement en pays soviétique, la jeunesse sous les armes et les sportifs ont l'esprit d'équipe, l'esprit « collectiviste». Le silence à cet égard de toutes les autres réponses laisse supposer que pareil esprit n'est pas autrement caractéristique de l'ensemble de la jeunesse. Même Issakovski, pourtant prolixe sur les traits positifs, ne signale que la camaraderie, qualité traditionnelle de ~a jeunesse russe. L'artiste Raïkine, lui, mentionne «l'humanité, le mépris du confort personnel, l'oubli de soimême ». On croit lire un écrivain russe de la fin du x1xe siècle décrivant les étudiants de son temps. Akimov, directeur d'un théâtre de Léningrad, signale la réapparition d'un trait jadis commun parmi la jeunesse intellectuelle de Russie, mais dont on ne parlait plus du tout depuis la mort de Lénine. Selon lui, « nos jeunes sont beaucoup moins tolérants que leurs parents envers l'hypocrisie et le bureaucratisme ». Le retour de cette intolérance est fort gênante pour l'appareil du Parti et celui de l'Etat, profondément imbus l'un et l'autre de la mentalité héritée de l'époque stalinienne. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Confrontons à présent le décalogue des qualités de la jeunesse soviétique 2 , que l'enquête de la KomsomolskaïaPravda était chargée de justifier, avec l'opinion des anciens sur ladite jeunesse, en laissant de côté les réponses des officiels (Malinovski, Biélodied et Orlovski), porte-parole du Parti, trop enclins à affirmer comme existant ce qui seulement devrait être. Nous constatons que les deuxième, sixième et septième commandements : dévouement au Parti et convictions idéologiques, foi dans le communisme, dévouement à la collectivité, n'ont frappé aucune des personnalités consultées. Or ces trois commandements sont les seuls que l'effort éducatif incessant du Parti devait inculquer à la jeunesse soviétique, les autres ne faisant qu'énumérer les qualités traditionnelles de l'élite de n'importe quelle jeunesse du monde, soviétique ou non. Dès lors, l'échec du Parti devient manifeste, " et les réponses faites par les mêmes personnalités sur les défauts de la jeunesse soviétique ne font -que le confirmer. Traits négatifs DANS toutes les réponses, l'exposé de ces qualités négatives est précédé de la restriction d'usage : « Ces traits ne se manifestent, he.ureusement, que chez une partie insignifiante de notre jeunesse. » Le maréchal Malinovski va plus loin : « Aue.un t~ait négatif n'est largement répandu parmi nos Jeunes. » Or un examen attentif des réponses publiées ne confirme point cet optimisme. Sur onze réponses, sept mentionnent le « hooliganisme sous toutes ses formes». Le compositeur Kapp et l'artiste Raïkine parlent de « conduit immorale», Issakovski et le même Raïkine signalent le « comportement grossier envers les jeunes filles » et le « manque de retenue chez celles-ci». Borodouline déplore les « violations de l'ordre public » et Nina Doumbadzé y ajoute le « manque de respect envers les anciens ». Huit personnalités, y compris Malinovski et . Biélodied, cependant porte-parole de l'optimisme officiel,'mentionnent le dédain po'Qr le travail, la tendance au parasitisme et des goûts de philistin. Chez certains jeunes, le maréchal stigmatise la « tendance à considérer la vie comme un chemin · couvert de fleurs » et le poète Issakovski constate la « peur des difficultés, 9.ui explique leur répugnance à quitter les villes, surtout Moscou, et le désir des jeunes ruraux de s'installer dans les agglomérations urbaines». Pour lt}vieil académicien Stroumiline, la principale source immédiate des méfaits commis par les jeunes est... ...l'indulgence excessive pour la pratique pernicieuse, héritée des temps anciens., remontant jusqu'à l'antique 2. Cf. Contrat social, nov.-déc. 1961, p. 343. ,

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