A. A. COHEN Transition au communisme UN BREVET d'originalité a également été réclamé pour nombre d'idées de Mao concernant la transition de la Chine au socialisme, puis au communisme, notamment dans le domaine de l'économie pure. Une revendication d'ordre plus général a trait . à la transformation de la classe capitaliste. Dans un article de juin 1955, un théoricien attribuait au président le principe sans précédent selon lequel les capitalistes pouvaient être « reconstruits » ou « réformés » d'une manière pacifique, afin de devenir des membres dignes de confiance de la société socialiste, plutôt que d'être liquidés par la force en tant que classe : Dans un Etat où le prolétariat a pris le pouvoir dans des conditions sociales et historiques définies, l'établissement du principe selon lequel les éléments capitalistes peuvent être foncièrement réformés sous la direction socialiste est encore une brillante contribution du camarade Mao Tsé-toung au trésor du marxismeléninisme. Cette théorie n'était jusqu'ici apparue dans aucune œuvre classique du marxisme-léninisme et aucun pays àu monde n'avait entrepris ce genre d'expérience 13 • En réalité, Marx et Lénine avaient tous deux envisagé d'autres solutions pacifiques que l'extermination physique des capitalistes. Dans Catastrophe inévitableet promessesillimitées (mai 1917), Lénine affirmait que ni les capitalistes individuels « ni même la majorité des capitalistes » ne seraient privés de tout et que « le prolétariat (...) comptait leur confier des tâches utiles et honorables, sous l'autorité des ouvriers eux-mêmes». En mai 1918, Lénine citait l'opinion de Marx, selon lequel les capitalistes « se convertiraient pacifiquement au socialisme ». Cependant il appartenait à Mao d'affirmer que les capitalistes, en tant que classe, pouvaient être transformés mentalement en travailleurs dans la société socialiste. C'était là un concept original, et sa mise en pratique a été activée par le développement de la technique maoïste, nouvelle elle aussi, de « refonte de la pensée» et de « lessivage du cerveau». Mais ce sont surtout les « communes populaires »qui, selon les auteurs communistes chinois, ont tracé une nouvelle voie maoïste vers le but final du communisme intégral. Ils admettent que Marx, Engels, Lénine et Staline ont développé presque tous les principes généraux de la société communiste de l'avenir et ils reconnaissent que Staline avait abordé le problème des communes avant que Mao n'ait développé et mis en pratique cette idée appliquée à la réalité chinoise. Pourtant, la contribution décisive de Mao, selon les Chinois, est d'avoir façonné les communes populaires - spontanément « créées par les masses chinoises » - de manière à en faire des instruments concrets pour passer de la « pro13. Chou Wci-kouang: • Le bond graduel dans la p~riode de transition en Chine •, in Rech. phil., n° 1, juin 1955. Biblioteca Gino Bianco 11 priété collective », socialiste, à la « propriété du peuple entier », communiste. Un théoricien , . . ecnvait en 1959 : L'apport fondamental du camarade Mao vint de sa capacité à entrevoir le sens des communes populaires dans une perspective historique à longue échéance. Guidé par les théories marxistes-léninistes, il combina les leçons des grands classiques et améliora les communes pour en faire la meilleure forme à utiliser dans l'édification du socialisme, ainsi que la meilleure forme d'organisation pour la transition de la Chine à une société communiste 14 • Les prétentions chinoises en ce qui concerne les communes avaient dépassé les bornes dans la première période de l'existence de celles-ci, en 1958: les communes n'auraient été rien demoins que le début de la transition de la Chine du socialisme au communisme. Cette vantardise, qui signifiait que la Chine avait fait, en dix ans, autant de progrès que l'Union soviétique en quarante, et qu'elle avait découvert, pour passer du socialisme au communisme, un raccourci qui la dispensait d'un haut degré d'industrialisation et de développement technologique, provoqua le courroux et l'inquiétude de Moscou. Les Soviétiques firent de toute évidence pression sur Pékin et les porte-parole chinois commencèrent à abandonner l'ancienne formule suivant laquelle la Chine aurait déjà entrepris l'édification 'du communisme intégral 15 • De plus, bien que le régime de Pékin continue de rendre hommage du bout des lèvres au concept de la commune, l'importance réelle des communes s'est, depuis 1959, petit à petit affaiblie, les brigades et les équipes de production tendant à devenir les unités fondamentales de l'activité économique dans les campagnes. QUELLECONCLUSIOtiNrer quant à l'originalité de l' « idéologie de Mao Tsé-toung» ou « maoïsme »16? Peut-on attribuer à Mao - comme, de toute évidence, ces désignations y incitent - le développement d'une lignée nouvelle et unique du marxisme-léninisme ? Il semble y avoir peu de raisons de lui reconnaître une contribution véritablement importante, décisive, à la philosophie et à la théorie fondamentales du communisme. A vrai dire, Mao a 14. Fan Houng : Etudiez Marx, Engels, Lénine et Staline sur la théorie du communisme (brochure), Pékin, avril 1959, pp. 42-51. 15. L'indien Chandra-sekhar, qui visita la Chine communiste en 1959, rapporta que des fonctionnaires de Pékin se seraient vantés devant lui que la commune de Tchiliyin, près de Tchengtchow, était « le dernier développement où nous avons dépassé l'Union soviétique 11. Cf. l'article de Chandra-sekhar : « Mao's War with the Chinesc FamiJy », in New York Times Magazine, 17 mai 1959, p. 73. 16. Ce dernier terme fut employé dans une note d'introduction de l'~diteur à un recueil antérieur des écrits de Mao. Mao Tsd-toung Hsouan Tchi, publié à Dairen en nov. 1947.
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