Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

10 ont souligné, du moins jusqu'en 1954, que la .dictature du peuple à la chinoise se distinguait nettement de la dictature du prolétariat à la soviétique, tout en laissant entendre que le modèle s'adaptait tout particulièrement aux mouvements communistes dans les territoires coloniaux et sous-développés au cas où la révolution viendrait à triompher. Cela constituait naturellement une autre source d'irritation pour les dirigeants russes; les commentateurs soviétiques, quand ils abordaient le concept maoïste de la dictature démocratique du peuple, ne faisaient généralement que glisser sur son originalité en l'assimilant à la formule de Lénine de dictature de deux classes. En 1954, il sembla que les Chinois battaient en retraite. Un article de la revue théorique Hsueh-hsi (Etude) reconnut qu'il n'y avait pas de différence « essentielle » entre dictature «prolétarienne » et dictature « démocratique du peuple », sinon de pure « forme » 10 • Ce compromis accepté par les Chinois semble avoir contenté Moscou et fut rendu officiel en 1956 au v111e congrès du P.C. chinois. S'il y avait de réelles différences entre la «dictature démocratique du peuple » de la . Chine communiste pendant les années de sa formation et l'Etat totalitaire soviétique, elles ont depuis longtemps cessé en pratique, sinon en théorie. Malgré l'existence des partis «démocratiques» (non communistes) en Chine, le pouvoir est tout autant le monopole exclusif du P.C. chinois qu'il l'est du P.C. de l'Union soviétique et la dictature communiste chinoise a imposé sa volonté aux capitalistes, aussi bien qu'aux non-capitalistes., avec une brutalité qui a même choqué certains autres membres du bloc communiste. Contradictions de la société socialiste UN des derniers apports à la théorie communiste revendiqué pour Mao concerne les idées qu'il exprima en 1957 sur les contradictions dans la société socialiste. Il le fit dans un discours prononcé à un meeting de la conférence suprême de l'Etat en févr. 1957, discours qui fraya la voie à la campagne des « Cent Fleurs ». Le texte du discours ne fut pas rendu public à l'époque, mais parut plus tard dans la presse - sous. une forme complèteme_nt révisée, semble-t-il - sous le titre : «Comment manipuler correctement les contradictions parmi le pe1.1:ple 11 • » Dans un article de juin 1960, un communiste chinois, commentateur de la philosophie marxiste, prétendit que dans son discours de 1957 Mao « fut le premier à distinguer entre deux genres de contradictions dans la société, (...) antagoniques 10. Ti Tchao-faï: « Le capitalisme d'Etat dans notre période de transition», 2 févr. 1954. II. Texte publié par l'agence Chine nouvelle, 18 juin 1957. • J Biblioteca Gino Bianco · LE CONTRAT SOCIAL et non antagoniques » 12 • Cela est faux ; pareille distinction remonte à 1939, aux théoriciens soviétiques M. Rosenthal et P. Ioudine, et fut par la suite développée par André Jdanov en 1947, Ioudine en 1948, B. Kédrov en 1951. Quelques théoriciens chinois avaient même déjà écrit en ce sens en ·1956. En fait, le discours de Mao n'élaborait pas un concept théorique nouveau, mais était plutôt du domaine d'une politique pratique : il tirait l'idée marxiste des « contradictions » (autrement dit des conflits) de son contexte de théorie philosophique pour en faire le fondement, presque le slogan, d'une campagne de portée nationale visant à «rectifier» les tendances bureaucratiques parmi les fonctionnaires du Parti pour regagner l'appui des intellectuels mécontents. Cependant, du point de vue politique, les déclarations de Mao s'écartaient parfois grandement de la tradition soviétique. Alors que Staline, dans Les Questions du léninisme (1926), ne reconnaissait que la possibilité d'un conflit entre le Parti et la classe ouvrière, Mao alla jusqu'à dire qu' « une contradiction entre dirigeants et dirigés (•..) existe (...) dans le socialisme ». Alors que la pratique soviétique n'admettait que la critique envers les manquements au devoir de la part de fonctionnaires du Parti, Mao encourageait des non-communistes à critiquer non seulement certains fonctionnaires, mais tout le parti communiste. Il s'écartait encore de la tradition soviétique en faisant passer quelques-unes des contradictions entre la classe ouvrière et la bourgeoisie - définies en U.R.S.S. comme « antagoniques » - dans la catégorie «non antagonique » en Chine communiste ; et il annonçait., ce qui fit sensation, que les grèves - interdites sous le régime soviétique - seraient tolérées par le gouvernement de Pékin à condition d'être « de petite portée ». Les conflits impliquant la critique du comportement des fonctionnaires, déclara Mao, devraient être résolus de l'une des deux manières suivantes : ou bien on démontrerait à ceux qui avaient formulé la critique qu'ils . s'étaient trompés; ou bien, si la critique était justifiée, les fonctionnaires fautifs devraient « rectifier » leurs erreurs. Moscou voyait quelques-unes de ces innova- . tions., sinon la plupart, d'un fort mauvais œil. Du .reste, en Chine même, le déferlement de la critique. contre le Parti pendant la phase culminante de la campagne des « Cent Fleurs » mena à un retournement de la politique libérale que le discours de févr. 1957 avait laissé entrevoir. Aujourd'liui, pratiquement, le seul point de ce discours qui soit discuté dans les revues théoriques chinoises est la question de la contradiction « non antagonique » entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. ·12. Wou Tchiang : « La victoire de la loi dialectique de l'histoire », in Recherches philosophiques, n° 6, 10 juin 1960.

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