Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

A. A. COHEN marxiste-léniniste de la stratégie et de la tactique». En fait, il ne s'agit que d'une platitude. Presque tous les leaders révolutionnaires, y compris de nombreux nationalistes non communistes, ont fait preuve de prudence devant une force ennemie supérieure. Staline lui-même était passé maître dans l'art de dédaigner l'ennemi « sur le plan stratégique »,alors qu'il manifestait de la prudence « sur le plan tactique». Après tout, seul un fou n'agirait pas prudemment si le « tigre de papier» se révélait, pour un temps, doué des qualités d'un véritable tigre. Encore un mot de la stratégie de la révolution de Mao. Ses écrits de 1928, dans lesquels il formulait l'idée des bases révolutionnaires rurales, impliquaient que cette stratégie pouvait s'appliquer tout spécialement aux conditions politiques et géographiques de la Chine. Cependant, à partir de 1949, les communistes chinois commencèrent à soutenir que la formule de Mao, à présent désignée comme « la voie de Mao Tsé-toung », fournissait un modèle de stratégie pour tous les pays arriérés. C'est pourquoi, lors de l'inclusion dans le premier vol. des Œuvres choisi,es, en 1951, de Pourquoi le pouvoir rouge peut-il exister en Chine? (écrit en oct. 1928), une note fut ajoutée pour souligner que l'expérience révolutionnaire chinoise pouvait s'appliquer à d'autres pays « de l'Orient ». Voici le passage-clé de la note : C'est ainsi que les peuples des pays coloniaux d'Orient, du moins un certain nombre d'entre eux, ont eu la possibilité de préserver, à peu près comme cela avait été le cas en Chine, des bases révolutionnaires de dimensions variées et le pouvoir révolutionnaire pendant une longue période, de mener fermement une guerre révolutionnaire de longue durée, d'encercler des villes situées au centre des campagnes insurgées et de passer progressivement à la conquête des villes, à la réalisation de la victoire totale dans leurs propres pays 9 • La formule chinoise est une épine dans le flanc de Moscou, d'autant plus que le régime de Pékin fait maintenant une concurrence active aux Russes pour gagner de l'influence non seulement dans les pays arriérés de l'Asie, mais en Afrique et en Amérique latine. Pékin peut prétendre, ne serait-ce qu'implicitement, que dans les pays coloniaux et sous-développés, tout leader nationaliste révolutionnaire partant des campagnes suit la « voie de Mao Tsé-toung », qu'il en ait entendu parler ou non. Moscou est là dans une situation embarrassante, ne pouvant citer ni Lénine ni Staline comme architecte de ce genre très particulier de stratégie révolutionnaire. Dictature démocratique du peuple EN PLUSde son apport à la stratégie pratique, sinon à la << théorie » de la révolution, Mao est censé avoir formulé le concept tout nouveau d'un type d'Etat de transition après la prise du pouvoir 9. Mao Ts~-toung : Œuvre1 choisies, vol. 1, Paris 1955, p. 74, note 1. Biblioteca Gino Bianco 9 par les communistes. C'est le concept de la « dictature démocratique du peuple ». Selon Marx, le renversement de l'Etat bourgeois par la révolution prolétarienne devait être suivi de l'établissement d'une structure provisoire de l'Etat, définie comme « dictature du prolétariat », laquelle devait exercer le pouvoir pendant la période de transition et aboutir à une société entièrement communiste, sans Etat et sans classes. Engels, Lénine, Trotski et Staline se sont tous penchés, dans leurs écrits, sur le concept de la dictature prolétarienne. Marx avait envisagé à l'origine un Etat sous la dictature d'une classe unique, les ouvriers. Cependant, dans Deux tactiques, Lénine, passant outre aux objections de Trotski, élargit le concept marxien de la dictature d'une seule classe, envisageant à sa place une « dictature démocratique du prolétariat et du paysannat » comme forme provisoire du gouvernement révolutionnaire. De même, Staline préconisa en 1926 d'établir, tout particulièrement en Chine, un gouvernement révolutionnaire cc dont le caractère général ressemblerait à celui du gouvernement dont nous parlions chez nous en 1905, c'est-à-dire une sorte de dictature démocratique du prolétariat et du paysannat ». Bien que la nouvelle ligne communiste internationale, décrétée par le Comintern en 1935, préconisant des gouvernements de « Front populaire », ait pu constituer le germe d'un concept plus large de l'Etat post-révolutionnaire, il n'y eut pas de redéfinition de la théorie idéologique concernant ce point, en termes de structure de classes, jusqu'au moment où Mao énonça son concept de « dictature démocratique du peuple ». La différence essentielle entre le concept léniniste-stalinien de la dictature du prolétariat et le nouveau concept de Mao, c'est que celui-ci envisageait, au lieu d'une dictature exercée par deux classes, une « dictature commune de plusieurs classes révolutionnaires ». Mao énonça pour la première fois cette idée dans La Révolution chinoise et le P. C. chinois, écrit de 1939, et il la développa dans Sur la nouvelle démocratie (1940) et Sur la dictature démocratique du peuple (1949). Le trait le plus saillant du concept de Mao est l'inclusion du cc segment révolutionnaire de la bourgeoisie nationale » ( en clair : les éléments les mieux disposés de la classe capitaliste) parmi ceux qui partageront le pouvoir dans l'Etat postrévolutionnaire, en attendant la transition au socialisme, puis au communisme. LES COMMUNISTcEhSinois n'ont naturellement perdu aucune occasion de faire passer le concept de Mao de la dictature démocratique du peuple - non sans quelque justification - pour un développement créateur de la doctrine marxiste-léniniste de la dictature du prolétariat. Qui plus est, les porte-parole de Pékin, comme dans le cas de la stratégie maoïste de la révolution,

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