Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

8 AINSI, aucun écart du léninisme ne s'était produit ni lorsque Peng Paï, membre du P. C. chinois nouvellement constitué, se rendit dans les campagnes de la province du Kouang-toung en 1921 · pour organiser les paysans, ni lorsque Mao lui-même fit, en 1927, une enquête sur les soulèvements révolutionnaires des paysans dans la province du Houn:an. Le résultat des investigations de Mao fut son Rapport sur une enqtdte dans le mouvementpaysan du Hounan de févr. 1927, peut-être le plus frappant de ses écrits. Il y donne un aperçu de la force et du potentiel révolutionnaire du mouvement paysan du Hounan, en accordant aux associations paysannes 70 % du travail rév_olutionnaire et seulement 30 % à la population citadine et aux unités militaires. Tout porte à croire qu'à l'époque les compagnons de Mao - ainsi que le Comintem - voyaient dans les résultats obtenus un simple aperçu, utile et exact, du potentiel révolutionnaire du paysannat du Hounan et non une nouvelle « théorie » hérétique de la révolution. Le fait que le rapport ai~ été publié à la fois dans la revue officielle du P.C. chinois et à Moscou en est une confirmation. (Il en fut de même des rapports de Peng Paï traitant de l'organisation du premier soviet rural en Chine.) Ce ne fut qu'après 1950, lorsque les communistes chinois se mirent sérieusement à vouloir fonder le prestige de Mao en tant que « théoricien» illustre, que son rapport de 1927 se trouva paré d'une nouvelle auréole d'originalité doctrinale. Ce qui, jusque-là, avait été considéré simplement comme un bon reportage sur le terrain, fut élevé au rang d'une brillante analyse « théorique » marxiste-léniniste de la révolution chinoise en général. (Dans ce nouvel esprit, l'allusion de Mao au rôle minime de la population citadine dans les révoltes du Hounan fut passé sous silence dans le vol. I des Œuvreschoisies paru en oct. 1951.) Mais, même en admettant que le rapport de Mao puisse être interprété en tant qu'esquisse d'une «théorie » de la révolution, le fait qu'il ait reconnu le paysannat comme force révolutionnaire importante peut difficilement passer pour un progrès par rapport aux idées de Lénine. Stratégie et tactique de Mao LES PREMIERÉSCRITSde Mao ne contiennent donc rien qui puisse être qualifié de développement créateur de la doctrine communiste révolutionnaire. Mais l'argumentation chinoise en faveur de Mao n'en reste pas là. Suivant une thèse communiste bien connue, en arrêtant la stratégie et la tactique, le chef du Parti contribue, au moment de la révolution, à la révolution elle-même. A étendre ainsi l'acception de la « théorie », on peut en effet accorder à Mao deux contributions originales : la stratégie de la révolution à partir de bases rurales autono- ~es et la tactique de la guerre de partisans, Biblioteca Gino Bianco . LE CONTRAT SOCIAL Pour Tchen Po-ta, Mao aurait « élaboré une série de ·conclusions (...). selo1;1lesq1:1elles i! ét~it possible pour la révolution d obterur la victoire d'abord dans les campagnes et d'y créer des bases révolutionnaires d'appui ».Mao énonça ces conclusions dans un rapport de nov. 1928, La Lutte dans le Tsingkangchan, où il énumérait les con~- tions nécessaires pour établir ces bases et fo~mulait un plan précis d'organisation. On peut raisonnablement soutenir que cette stratégie de Mao concernant la lutte révolutionnaire en Chine constituait un progrès pratique par rapp~rt aux idées générales de Lénine sur la fondation de soviets paysans dans les pays arriérés. Tchen relève la guerre de partisans comme un autre trait distinctif de la stratégie révolutionnaire de Mao. Cela semble également justifié, bien qu'il soit difficile de déterminer en l'occurrence la part qui revient à Tchou Té, décrit avant guerre par un observateur militaire américain comme « le plus illustre dans ce domaine» 8 , ou encore à d'autres chefs militaires communistes chinois. Le fait que les publications communistes chinoises passent sous silence, depuis quelques années, les nombreux écrits de Tchou sur la guérilla, sur la tactique de la guerre longue, sur «l'attaque-éclair», suggère que l'on cherche à étouffer la flamme de Tchou pour que celle de Mao puisse brûler avec plus d'éclat. Cependant, l'important est que l'idée de Mao de déclencher une lutte révolutionnaire prolongée à partir de bases rurales autonomes en utilisant la tactique des guérillas fut conçue non comme une «théorie»générale de la révolution, mais comme une stratégie concrète pour s'emparer du pouvoir dans les conditions spécifiques qui prévalaient en Chine. Or '.sonidée était dictée par ces conditions et était sans doute la seule stratégie permettant aux communistes chinois de continuer la lutte révolutionnaire. L'attitude de Mao envers la prise du pouvoir n'a pas cessé d'être pragmatique plutôt que théorique; elle s'appuyait sur la nécessité de vaincre par n'importe quel moyen disponible sur le moment. Dès lors, ses écrits justifient des actions très diverses, se prêtant à presque toutes les circonstances. LESPANÉGYRISTdEeSMao tentent même d'éri- ·ger sa manière pragmatique et de simple bon sens en un nouveau précepte de la statégie communiste. Saluant la publication du vol. IV de ses Œuvres choisies paru en nov. 1960, deux auteurs communistes chinois appellent le concept du« tigre de papier», qui consiste à« négliger l'ennemi sur le plan stratégique et à en tenir compte sur le plan tactique », « un nouveau développement d'immense importance dans la théorie 8. Major Evans F. Carlson : « The Chinese Army. lts Organization and Military Efficiency », in Institute of Pacifie Relations, vol. VU, sect. 3, 6 oct. 1939, p. 20.

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