Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

A. PATRI M2. - L'aliénation économique commande toutes les autres formes de l'aliénation humaine (matérialisme historique). - M3. - La collectivisation des moyens de production et d'échanges mettra fin à l'aliénation économique (prophétisme socialiste à prétention scientifique). M4.- Cette transformation finale sera le résultat de la lutte de la classe ouvrière contre le capitalisme privé (ouvriérisme ·agonistique ). Ces quatre postulats nous paraissent constituer l'essentiel de ce qu'on entend ordinairement par marxisme, lorsque intervient un minimum de référence aux œuvres de .Marx. Ils sont présentés en même temps que leur interprétation et nous avons placé entre parenthèses, le terme ou -la formule qui nous a paru caractériser l'aspect de la doctrine correspondant au numéro d'ordre dans l'exposition du système. Un système de postulats fournit une définition déguisée. Le système M fixe par postulats les limites de ce qu'on peut appeler l'orthodoxie marxiste, d'un terme que les marxistes qualifiés n'ont pas craint d'employer : _le dogme ou contenu de l'orthodoxie formulé de MI à M4 représente ce qu'il faut croire pour se considérer marxiste. Parlant .de dogme, on évoque du même coup la possibilité des hérésies : l'hérétique du marxisme est celui qui fait un choix entre les postulats, acceptant ceux-ci, rejetant ceux-là, tandis que le marxiste orthodoxe les reçoit en bloc. Cette terminologie, d'origine théologique, ne doit avoir a priori aucun caractère péjoratif. Elle ne doit surtout pas nuire à la prétention que le marxisme a d'être scientifique : le marxiste bien éduqué a coutume de préciser que le dogme qu'il accepte par voie d'autorité se distingue des anciens dogmes proprement religieux en ce qu'il a la propriété d'être vérifiable. La prétention reste à valider : c'est notre objet de la soumettre à examen. Chacun des postulats appelle un commentaire qui justifie l'interprétation suggérée. En MI, l'adjectif « aliéné», qui pourrait d'abord surprendre les non-initiés, est pris dans un sens technique consacré par la tradition de la gauche philosophique hégélienne, à laquelle appartint mitialement Marx. C'est pourquoi nous avons cru devoir immédiatement le réduire à sa plus simple et intelligible expression, qui correspond à la constatation universelle d'un fait d'expérience humaine. Mais nous ne pouvions oublier que sur la constatation de ce fait assez simple, et en soi indubitable, s'est greffée une construction philosophique compliquée à laquelle adhéra le Jeune Marx. Cette construction, évoquée par le mot « humanisme » placé entre parenthèses, n'est pas directement celle de Hegel mais appartient à son très libre disciple Ludwig Feuerbach : u humanisme » est le terme employé par l'auteur de L' Essencedu christianisme et retenu par Marx pour la caractériser. Cette référence nous permet de récuser ceux '\ui, égarés par un appel à d'autres sources (positivisme, existentialisme), seraient Biblioteca Gino Bianco 375 tentés de contester notre interprétation en soutenant que le marxisme ne saurait contenir une doctrine relative à l'homme en général. Le problème auquel répond l'humanisme de Feuerbach ayant trait à l'essence de la religion et plus spécialement à celle du christianisme, il appartient à la théologie philosophique. La réponse peut être considérée comme constitutive de la théologie de l'athéisme moderne (l'athéisme étant, par définition, une position théologique) : si l'homme est mécontent de son sort, c'est qu'il n'a pas réalisé sa véritable essence, ayant placé dans un être fantastique, Dieu, l'ensemble de ses aspirations - dont il a été ainsi distrait. C'est ce qui nous donne la clé du terme« aliénation» dans son usage technique : l'homme s'est aliéné en Dieu, qu'il a pris pour quelqu'un d'autre que lui-même ; quand il l'aura compris il pourra enfin se réaliser. Tel est, selon Feuerbach, le secret du christianisme ou religion de l'HommeDieu. Marx ne s'en est pas tenu là, comme le montrent les célèbres notes sur Feuerbach. C'est ce qui nous permet de passer à la suite. En M2 apparaît le matérialisme historique. Après hésitation, nous avons retenu ce terme traditionnel. Nous avions d'abord songé à « économisme », mais le mot a pris une autre acception dans les controverses entre marxistes russes (pour désigner quelque chose d'analogue à ce qu'on a appelé en Occident le réformisme). Nous avions pensé aussi à « déterminisme économique», terme employé par un quasi-adversaire, Achille Loria, qui toutefois ne lui donnait pas lui-même de sens péjoratif. Après les atténuations préconisées par Engels, «déterminisme» pourrait prêter à controverse. L'essence considérablement simplifiée du matérialisme historique traditionnel paraît d'abord tenir dans le classique dicton : primum vivere, deinde philosophari qui aurait pu justifier notre « économisme ». Il convient cependant de prêter attention à la relation de MI et de M2 pour être assuré de suivre la filière, d'autant que M2 a longtemps seul paru à la surface, par suite de l'ignorance où l'on se trouvait de certains des premiers écrits, de telle sorte qu'on a pu voir - à tort - en M2 le premier mot de la doctrine. Sur la foi de certains écrits ultérieurs parmi les plus connus, on continue de croire . que Marx est passé directement de l'idéalisme hégélien à son matérialisme par voie de simple renversement. Que vient faire dans l'expression « matérialisme historique » le mot « matérialisme» ? Il introduit une confusion avec le matérialisme philosophique en général, tandis que l'adjectif « historique » paraît en restreindre la portée. N'aurait-on pas mieux dit, eu égard à la chose définie dans les textes classiques, « économisme historique» ? Des marxistes en velléité d'hérésie ont touJours été tentés de se débarrasser du matérialisme, tendance contre laquelle Lénine a véhémentement réagi dans sa célèbre diatribe philosophique. De fait, dans les textes classiques où il a exposé la doctrine - avec ou sans son collaborateur - Marx querellait Hegel, ce qui • •

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