372 mettent d'estimer qu'en 1943 la proportion des ·sexes dans la population valide des campagnes fut d'environ 3 femmes pour 1 homme 44 • 11 ne semble pas que la fin de la guerre ait apporté une amélioration à cet égard. Dans une armée surtout paysanne, les 7 millions d'hommes tombés · sous l'uniforme au cours des hostilités venaient pour la plupart du milieu rural. Celuici paya aussi, à coup sûr, un lourd tribut aux « pertes civiles » de plus de 20 millions de personnes, dont les trois quarts environ de sexe masculin. Finalement, la migration des paysans vers les centres urbains se poursuivit sans relâche. De 31.6 pour cent en 1940, la part des citadins dans la population globale monta à 43.4 pour cent en avril 1956 et à 47.8 pour cent en janvier 1959 ; la population rurale tomba de 131.1 millions en 1940 à 113.2 en 1956 et à 109 en 1959 45 • Par conséquent, le déficit de 20.8 millions d'hommes se concentre non seulement sur les plus de 31 ans, mais encore, pour une grande part, sur les habitants des campagnes. lasny estime qu'en 1950 on ne trouvait pas plus de 3 hommes adultes pour 10 femmes adultes dans les kolkhozes soviétiques 46 • La désintégration de la structure présente encore un troisième aspect, plus étrange que les deux précédents : la dissociationgéographiquedes sexes. 11 existe de vastes1régions qui souffrent d'une pénurie aiguë de femmes en. même temps que dans d'autres la population masc111inetend de plus en plus à ne compter que des enfants et des vieillards. Les hommes prédominent dans la population qui colonise les contrées éloignées. Pour !'Extrême-Orient soviétique - et il en va certainement de même dans les autres terres de colonisation - .Kolarz a constaté que la proportion des femmes diminue à mesure qu'on avance vers l'Est : déjà en 1926 on comptait 1 oo hommes pour 96.2 femmes dans la région située à l'ouest du lac Baïkal, 91.8 dans la région de l'Amour, 70.4 dans la zone côtière du Pacifique et 68.9 dans l'île de Sakhaline 47 • Or ce sont justement ces contrées qui furent ultérieurement transformées en zones concentrationnaires, peuplées presque exclusivement de bagnards et d'anciens bagnards, parmi lesquels les femmes sont l'exception : à Kolyma, on runenait longtemps 80.000 à 100.000 prisonniers et 500 prisonnières tous les ans, les effectifs des camps de Norilsk se composaient en 1947 de 44. Barrington Moore, Jr : Terreur et progrès en URSS, Paris 1956, p. 113. · 45. « L'URSS en chiffres... », p. 7; Pravda, 10 mai 1959 • 46. Naum Jasny : The Soviet 1956 Statistical Handbook, p. 200. 47. Walter Kolarz : Les Colonies russes d'Extrême-Orient, Paris 1955, p. 33. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE 140.000 hommes et de 9.000 femmes, etc. Aussi la disproportion des sexes prit-elle en ces endroits des dimensions dont on chercherait en vain l'équivalent: on comptait pour une femme approximativement 8 hommes à Norilsk, 14. à Vorkouta. Les efforts déployés au cours des années 50 pour remédier à cette situation furent bénéfiques mais insuffisants. A Norilsk, un apport massif. de paysannes ukrainiennes réduisit la proportion à 4 pour 1 en 1953. A Vorkouta, elle fut ramenée à 8 pour 1 en 1953 et à un état probablement voisin de celui de Norilsk les années suivantes, grâce à l'arrivée d'un grand nombre de prostituées, voleuses et mendiantes prises dans des rafles ; une opération analogue fut entreprise pour la zone concentrationnaire de Taïchet 48 • Cependant l'effet de ces mesures se trouve neutralisé, du moins en partie, par de nouvelles poussées de colonisation, créant de nouvelles zones à population féminine déficitaire : campagne de défrichement des terres vierges, recrutement de la jeunesse pour les contrées éloignées (par exemple, pour les régions de l'Altaï, de Krasnoïarsk, de Khabarovsk et du Primorié, pour les districts d'Arkhangelsk, de l'Amour, de Mourmansk, de Magadan, etc., pour les Républiques autonomes des Bouriates-Mongols et des Komis), etc. Le nombre d'hommes en excès dans ces contrées n'est pas connu. Mais on sait qu'ils se chiffrent par mjllions. Si vague qu'elle soit, cette indication suffit à démontrer l'importance du phénomène, ainsi que l'agg-ravation de la pénurie générale d'hommes qui en résulte. Ces millions d'hommes se trouvent si l'on peut dire soustraits à la population masculine des autres régions. Or, suivant l'estimation de Iasny, on compte parmi les kolkhoziens adultes quelque 6 millions d'hommes et près de 20 millions de femmes 49 • En défalquant de ces données globales les données relatives aux territoires dén,11nisde femmes, on s'apercevr~t. que l'effrayante proportion de 3 pour 10 dissunule encore une partie de la réalité. On ne saurait imaginer structure plus décomposée. Il n'en est que plus étonnant que la population ait recommencé à croître. Plus encore que les bonds enregistrés pendant les courtes accal- .mi~s entre les cataclysmes d'avant guerre, la croissance actuelle, même ralentie, témoigne d'une. vitalité extrao:dinaire. Il se peut que nous touchions là aux raisons profondes de la persistance du système soviétique : doué d'une vitalité moindre, le peuple n'eût pas été à même d'endurer aussi longtemps pareils désastres; moins éprouvé dans les conditions biologiques de·son existence, il eût trouvé la force de secouer 1~ régime. , PAUL BARTON. 48. Paul Barton : op. cit., pp. 260-63 et 371-72. 49. Naum Jasny : The Soviet 1956 Statistical Handbook, p. 200.
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